<
>
Contributions
#09
Le fest-noz patrimoine de l’humanité ?
RÉSUMÉ > Courant mars, la France fera acte de candidature pour inscrire le fest-noz – après le « repas gastronomique » – sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une reconnaissance internationale qui permettrait aux acteurs bretons d’ouvrir le débat avec leurs élus et de réinterroger la notion même de culture traditionnelle et d’identité culturelle. Cette dynamique va au-delà d’une simple mention sur une liste, mais s’inscrit dans les enjeux de la société contemporaine, au cœur d’une mondialisation riche de sa diversité culturelle.

     Dans la salle du MusikHall, le public en duplex avec la Pologne est invité par la voix de Tomek à danser un andro, cette danse en chaîne où chacun se tient par le petit doigt. Les Rennais font cercle en même temps que les Polonais, par écran interposé. L’image projetée est saccadée mais le son est parfait. La langue internationale est le breton! Chantal est toute ouïe. « Le festnoz ? C’est la danse de 7 à 77 ans dans la plus grande tolérance. Je suis normande, mon mari est anglais et mon fils joue de la cornemuse avec le bagad de Cesson-Sévigné. Un fest-noz international, c’est génial! ». Ce soir là, 180 000 internautes de 80 pays se sont connectés au 12e Cyber fest-noz de la diaspora bretonne. Un « fest-noz le plus traditionnel possible avec les technologies les plus modernes possibles » organisé en mai dernier par An Tour Tan.

     Les Bretons rivalisent d’inventivité pour entrer dans la ronde. En dix ans, le fest-noz de Yaouank, mi-novembre au MusikHall, « le plus grand de Bretagne, avec six mille danseurs, est un fest-noz de taille XXL » se plaisent à dire les organisateurs de Skeudenn Bro Roazhon. Dans un autre genre et de taille XXS, on pourrait citer, à 30 km de Rennes, Les douze heures de la ronde chantée de la Fête du chant de Bovel. Pour l’Épille, l’association organisatrice, il s’agit de « découvrir ou de ne pas oublier » à quel point le chant et le mouvement sont liés ». Les rondes sont menées a capella par des anciens, « porteurs de tradition », et « des représentants des générations suivantes ».

     Point commun entre toutes ces manifestations, de la plus intime à la plus courue : l’engouement des Bretons de coeur pour des rassemblements festifs qui s’ancrent dans une culture vivante et en mouvement. On compterait un millier de festoù-noz par an, des dizaines de milliers de danseurs réguliers, autant de musiciens et chanteurs dont plusieurs centaines de professionnels. Pas étonnant que 69 % des Bretons (sondage Ifop) associent la culture bretonne à la musique et aux chants.
     Au-delà de la pratique des répertoires de danse, de chant et de musique, la force du fest-noz est sa convivialité et le brassage entre les générations. Inscrire ce « symbole majeur de l’identité et de la culture bretonne » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco s’est naturellement imposé aux acteurs de la culture bretonne qui se sont réunis en groupe de travail coordonné par Dastum. Cette candidature, soutenue par 81 % des Bretons (sondage Ifop), sera déposée courant mars par la France, État partie signataire de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de l’Unesco. Le fest-noz devrait rejoindre le patrimoine culturel immatériel de l’humanité, après validation par le comité intergouvernemental de l’Unesco.
     Plus de deux cents pratiques et savoir-faire sont actuellement inscrits sur les listes d’attente de l’Unesco. Pour la France: la tapisserie d’Aubusson; la tradition du tracé dans la charpente française; le maloya: musique, chant et danse métissés de l’île de la Réunion; le compagnonnage; la dentelle au point d’Alençon. Sur la liste de sauvegarde urgente, parmi les seize inscriptions, figure le Cantu in paghjella de Corse, tradition orale de chant interprété par les hommes.

     Retrouver le fest-noz aux côtés de l’opéra tibétain, de la calligraphie chinoise, du tango argentin, de la diète méditerranéenne… quel sens cela peut-il avoir ?
     « Le plus important est de prendre conscience de l’importance du patrimoine culturel immatériel. Qu’il y ait ensuite une inscription sur les listes d’inventaire ou de sauvegarde, c’est la cerise sur le gâteau. Je trouve la démarche entreprise par Dastum très saine, avec une très large consultation et en essayant de rassembler tous les acteurs. La Bretagne a son propre patrimoine, elle en est fière et elle s’en occupe. Finalement, c’est important qu’il y ait une reconnaissance internationale », confirme Cherif Khaznadar, vice-président de la Commission nationale française pour l’Unesco.
     Convention internationale, patrimoine culturel immatériel… Les enjeux n’ont pas échappé à Charles Quimbert, directeur de Dastum, à l’origine de cette démarche. « Si dans la convention, la sauvegarde est le but principal, il ne faut pas oublier les autres objectifs. Sur le plan national, pour assurer cette sauvegarde, il appartient aux États d’identifier les différents éléments de ce patrimoine immatériel, mais le texte précise que ce sont les communautés, groupes ou individus qui reconnaissent ou non le statut de patrimoine culturel immatériel ». Une avancée notoire qui accorde une place centrale aux porteurs mêmes de ces savoirs, savoir-faire et pratiques. « De plus, chaque État s’engage à assurer la reconnaissance, le respect et la mise en valeur de ce patrimoine culturel immatériel ». Un engagement qui ne peut que conforter le travail de longue haleine mené par les associations ou les individus et relayé par certaines collectivités. « Enfin, la convention ouvre sur la notion de coopération et d’assistance internationale qui doivent permettre aux autres pays ou communautés de bénéficier des savoir-faire accumulés en matière de sauvegarde, comme, par exemple, en Bretagne ».

Réinterroger la notion de culture traditionnelle

     Changer d’angle de vue est une formidable occasion pour les acteurs de la Bretagne historique, à cinq départements, de réinterroger la notion même de culture traditionnelle. « Quand j’ai découvert cette convention, en 2007, la qualité d’écriture m’a frappé. Les mots qui définissent ce qu’est le patrimoine immatériel sont d’une grande force. Il est dit que les communautés ont seules le pouvoir de reconnaître ce qui fait ou non partie de leur univers patrimonial et que cela leur procure un sentiment d’identité. Cela nous parle en Bretagne, mais l’affirmer dans un texte international, ratifié par la France pour qui la question d’identité n’est pas simple est très important. »
     Pour autant, Charles Quimbert souligne que la convention contrebalance par le respect des diversités culturelles un sentiment identitaire qui pourrait être réducteur. « Et, en Bretagne, nous avons besoin pour nous ouvrir au monde de rajeunir notre identité bretonne avec ce concept de diversité culturelle. D’une part, la diversité existe en Bretagne depuis longtemps et d’autre part, la Bretagne fait partie de la mondialisation ».
     Deux autres points retiennent l’intérêt du chanteur et collecteur: « Ce qui est nouveau, c’est la place donnée à la personne et la reconnaissance en chacun de son propre héritage patrimonial. L’accent n’est pas mis sur l’objet, mais l’individu. » Autre point positif qui pourrait clore un débat de longue date: « La question de l’authenticité, si lourde à porter, ne se pose plus. D’emblée, il est dit que ce patrimoine vit et évolue et que chaque interprète recrée l’objet en question ».

En Bretagne: des rencontres et un Appel comme levier

     La première démarche de Dastum a été d’organiser à Rennes, en 2008, les Rencontres du patrimoine culturel immatériel, en partenariat avec l’IRPa. « La convention mentionnant la place des communautés comme acteurs, il nous semblait important que les acteurs de Bretagne soient informés et se saisissent de cette convention ». D’emblée ces rencontres s’affirment comme un levier, pour les élus qui saisissent la dimension internationale de la convention et pour les deux cents acteurs présents. A la suite à ces rencontres s’est constitué un groupe de travail représentant l’ensemble des domaines de la culture bretonne: la danse, la musique, le conte, les jeux traditionnels…
     « Nous avons très vite ressenti la nécessité de bénéficier d’appuis politiques. Nous avons rédigé un Appel à la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel, pour demander aux élus bretons de prendre en compte cette notion dans leur politique culturelle. » À ce jour, vingt collectivités territoriales ont signé cet appel. Citons le conseil régional de Bretagne et le conseil général d’Ille-et-Vilaine.
     « La notion de patrimoine immatériel restant abstraite, nous avons souhaité inscrire un élément fort de notre patrimoine sur la liste représentative. Nous nous sommes interrogés sur ce qui pouvait être représentatif de notre culture. » Après débat, le choix s’est porté sur le fest-noz. « C’est un fait social complet, avec un public, des musiciens, des collecteurs, des formateurs et des écoles et associations qui enseignent et transmettent pour pouvoir jouer ou danser, des structures de conservation de ce patrimoine oral, des organisateurs, des luthiers et facteurs d’instruments ». Une façon de vulgariser et de permettre à tout un chacun de s’approprier la dimension du patrimoine culturel immatériel. « Nous n’avons pas travaillé isolément mais conjointement avec une représentation citoyenne et un appui institutionnel. » Une dynamique qui continue, en long fleuve tranquille, d’irriguer les petits ruisseaux qui feront les grandes rivières. « Nous sentons qu’il existe un partenariat réel engagé avec la Région. Notre patrimoine est fragile et c’est l’occasion de construire pour les années à venir.
     À présent, l’objectif est le chant à écouter, complaintes et gwerzioù, avec la volonté de créer une synergie pour leur sauvegarde. Nous souhaitons une inscription, cette fois, sur la liste de sauvegarde. » Troisième dossier en chantier : les jeux traditionnels bretons.
     « Cette notion de patrimoine culturel immatériel soulève un débat de société qui prend en compte la diversité culturelle, le développement durable, etc. La seule crédibilité aujourd’hui pour notre société est de se situer par rapport à la mondialisation. Nous pouvons le faire avec notre passion et notre culture, à notre petite échelle. C’est le sens que peut prendre pour nous cette notion de patrimoine culturel immatériel ».
     On pourrait, en conclusion, reprendre les propos de ce « fest-nozeur », témoin dans le film joint au dossier de candidature: « J’ai trouvé l’énergie renouvelable avec la gavotte. C’est une émotion formidable. La danse est un prétexte, elle maintient l’homme debout ! ».