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Histoire & Patrimoine
#33
La cathédrale Saint-Pierre retrouve ses ors et sa lumière
RÉSUMÉ > Officiellement inaugurés en novembre dernier, les importants travaux de restauration de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes menés par l’État ont permis de rendre tout son lustre à un édifice plutôt méconnu des Rennais eux-mêmes. Conçue comme une basilique romaine sur le modèle de Saint-Pierre de Rome, la cathédrale de Rennes retrouve les ors et la lumière qui avaient disparu au cours des ans. Retour sur une histoire millénaire, intimement liée à celle de la cité.

     Dans le centre historique de Rennes, la cathédrale Saint-Pierre s’affirme plus par la solennité de sa façade que par son architecture extérieure, très sobre et enserrée par des immeubles sur sa droite et sur sa gauche. Seule l’abside se dégage un peu, rue de la Psalette. Souvent méconnue des Rennais eux-mêmes, elle ne correspond guère, en effet, à l’image spontanée que l’on se fait d’une cathédrale, gothique le plus souvent, avec des modèles imposés comme Chartres, Amiens, Bourges ou Notre-Dame de Paris.
    Depuis 2009, le ministère de la Culture et la Direction régionale des Affaires culturelles ont entrepris une campagne de restauration intérieure qui vient de s’achever avec un nettoyage intégral des décors et des stucs de la nef, du transept et du choeur. La cathédrale éteinte par des couches de poussière et un éclairage déficient, vient de se réveiller comme la Belle au Boisdormant. Lustres et lampadaires, également nettoyés et reconstitués dans leur état initial, s’allient au nouvel éclairage mis en place pour faire chanter les couleurs et les ors. Dans son originalité parmi les cathédrales de France, celle de Rennes mérite un regard renouvelé, en particulier sur son histoire complexe qui a vu trois édifices différents se succéder au cours des siècles.

     Dès les premiers temps de l’essor du christianisme en Bretagne, sans doute dès le 4e siècle, apparaît à Condate, nom celte d’une cité gallo-romaine signifiant confluent, un groupe cathédral constitué de trois sanctuaires : un baptistère dont il ne reste rien, une église pour les célébrations communes, dédiée à saint Pierre, et un sanctuaire propre à l’évêque, consacré à la Vierge, la chapelle Notre-Dame de la Cité.
    Comme il était courant à cette époque, l’édifice, que l’on peut appeler la première cathédrale, fut édifié dans la proximité de l’emplacement d’un temple dédié à un dieu du panthéon romain. En 1774, fut découvert dans le sol d’une maison du chapitre cathédral, rue de la Monnaie, un trésor comprenant notamment une magnifique patère en or, de plus d’un kilo, l’usage habituel d’une patère étant l’offrande de libations au cours des sacrifices. Il est dommage que cette pièce inestimable, datant de la première moitié du 3e siècle, ait été offerte à Louis XV, ce qui lui vaut d’être aujourd’hui conservée à la Bibliothèque Nationale de France, alors qu’elle aurait toute sa place au musée de Bretagne.
    Le premier évêque attesté fut Athenius, participant en 453 à un concile de la Province de Tours. Vers 500, accéda à l’épiscopat Melaine dont l’une des préoccupations majeures fut de maintenir l’unité dans son diocèse marqué par la rencontre de chrétiens venant de deux cultures : la culture gallo-romaine au sud et la culture celte au nord, engendrant deux manières différentes d’exprimer la foi chrétienne. De la première cathédrale, nous ignorons tout, sauf qu’elle se trouvait à l’emplacement de l’actuelle, à proximité des remparts sud-ouest de la cité, dont les soubassements nous sont révélés rue de Juillet, à proximité des Portes Mordelaises.

     La seconde cathédrale fut commencée à la fin du 12e siècle, à l’initiative de l’évêque Philippe, moine cistercien, à une époque où l’art roman cède peu à peu la place au gothique. Le chantier dure jusqu’au milieu du 14e siècle, ce qui n’empêche pas une suite continue de modifications, notamment la construction de chapelles autour du choeur. C’est dans cette cathédrale que le duc de Bretagne venait se faire couronner.
    La façade, menaçant ruine, fut finalement rasée. L’évêque Yves Mayeuc, l’une des grandes figures de l’épiscopat rennais, proche d’Anne de Bretagne, posa le 15 septembre 1541 la première pierre de la façade actuelle, dont les travaux s’échelonnèrent jusqu’en 1704. La lenteur de ces travaux explique des remaniements visibles dans l’étage inférieur.
    La dernière campagne de travaux, de 1678 à 1704, célèbre la gloire de Louis XIV et affirme l’absolutisme royal face aux révoltes rennaises de 1675, protestant contre l’alourdissement des impôts, révoltes connues sous le nom de révoltes du Papier Timbré. Madame de Sévigné, dans sa correspondance, évoque ces événements avec l’humour dont elle ne peut se départir et parle d’une « colique pierreuse », faisant allusion aux manifestations des révoltés, repoussant jusque chez lui le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne. L’architecte François Huguet fait mettre en place le fronton central en tuffeau sculpté aux armes de France, avec l’orgueilleuse devise royale : Nec pluribus impar (à nul autre pareil). Au-delà d’une certaine rigueur, cette façade est d’une belle unité avec l’élan des colonnes et des fenêtres superposées.
    Derrière la façade, subsistait la cathédrale gothique où l’investissement financier avait été plus placé dans les décors intérieurs que dans la stabilité. Déjà, dès la fin du 17e siècle, suite à un rapport demandé sur l’état de la cathédrale, l’intendant de Bretagne, Béchameil de Nointel, se prononça pour l’arasement de l’édifice.

     Par la suite, les avis des architectes successifs ne cessèrent de diverger, certains jugeant possible une restauration, d’autres préconisant la construction d’un nouvel édifice. L’effondrement d’une partie supérieure du choeur, en 1754, mit fin aux hésitations. Immédiatement, le Conseil du roi demanda de construire une nouvelle cathédrale, en prescrivant la démolition entière de l’ancienne, mis à part la nouvelle façade, ce qui fut réalisé à partir de 1758. Les fouilles, précédemment faites en 1755 et 1756, donnent des renseignements intéressants sur l’état de la cathédrale et sur les sépultures épiscopales. C’est en 1756 que fut édifiée la crypte pour servir d’ossuaire et de lieu d’inhumation des évêques.
    À la suite de plusieurs projets architecturaux, fut retenu celui de Mathurin Crucy, jeune architecte nantais, premier prix du concours de Rome en 1774. L’évêque, Mgr Bareau de Girac, et le chapitre s’emploient à lancer la construction qui commença en 1786. Au moment de l’arrêt des travaux en 1791, les fondations sont faites, les murs s’élèvent à plus de huit mètres et les colonnes sont à hauteur de recevoir les chapiteaux.
    Un décret impérial du 8 avril 1811, pour honorer les demandes de l’évêque et du chapitre, souhaite l’achèvement de la cathédrale, mais il fallut attendre les années 1820 pour une reprise effective des travaux, dans le respect du projet initial de Crucy.
    Un jeune évêque de 38 ans, originaire de Rennes, Godefroy Brossays Saint-Marc, va tout au long d’un épiscopat de 37 ans, de 1841 à 1878, imprimer sa marque définitive à une cathédrale non achevée lorsqu’il décida d’y recevoir la consécration épiscopale, le 10 août 1841. Ce ne fut qu’à Pâques 1844 qu’il l’inaugura et qu’elle fut ouverte au public.

     Mgr Brossays Saint-Marc n’aimait pas ce temple néoclassique à la belle rigueur architecturale mais à l’allure austère, où dominait le blanc des murs et des colonnes, rehaussé par la voûte à caissons aux rosaces de stuc et le décor avec ses bas-reliefs sur fond bleu aux guirlandes de fruits et candélabres dorés. Ceux du transept subsistent.
    Nommé archevêque de la province de Bretagne en 1859, Mgr Brossays Saint-Marc put réaliser le rêve qu’il caressait depuis plusieurs années, transformer le décor néo-classique dans les ors et couleurs d’une basilique romaine, à la mesure de sa sensibilité ultramontaine.
    Dans une lettre pastorale datée de 1863, il fit part à son diocèse du lancement d’une souscription en faveur de la réalisation d’un nouveau décor pour sa cathédrale. Après avoir rappelé tout ce qu’il avait réalisé depuis son accession à l’épiscopat, il ajoute : « Il est une oeuvre […] que nous regretterions infiniment de laisser inachevée, je veux parler de notre église métropolitaine qui n’a jamais été terminée et qui, par son état de nudité, ressemble plus à une salle de spectacle qu’à la Métropole de la pieuse Bretagne ». Aussi, après l’appel lancé à la générosité des fidèles, le projet est aussitôt explicité : « Permettre d’exécuter dans l’ancien vaisseau de notre église cathédrale ce que l’on appelle une Basilique romaine, dans le genre en petit de Saint-Pierre du Vatican luimême ». Son élévation comme archevêque de Rennes lui fit adjoindre la volonté de faire de sa cathédrale le panthéon religieux de la Bretagne.

     L’église de Crucy subit alors un véritable habillage avec les murs, pilastres et colonnes revêtus de stuc imitant le marbre. La nef, le transept et le choeur sont recouverts d’un lambris en plein cintre divisé en caissons réguliers ornés de peintures décoratives où dominent le vert et le rouge.
    Pour favoriser le recueillement souhaité par l’archevêque, les trois fenêtres de l’abside sont fermées ainsi que les grandes baies en hémicycle de chaque bras du transept. De grandes compositions picturales ornent le transept et le déambulatoire du choeur avec, au fond de l’abside, le Christ en gloire envoyant ses apôtres en mission et remettant les clés à saint Pierre. Ces peintures sont commandées par l’archevêque au peintre Alphonse Le Hénaff, né à Guingamp (1821-1884), influencé par Ingres et Hippolyte Flandrin et que l’on classe volontiers dans l’école des Nazaréens. Dans les extrémités du transept, à gauche, le thème est celui de Notre-Dame de Bonne Nouvelle avec le projet de construction d’une basilique qui ne sera édifiée que plus tard, à droite est célébré le culte de Sainte Anne d’Auray. Son oeuvre la plus réussie est sans aucun doute la grande troménie des saints des huit diocèses bretons se dirigeant vers la grande porte de la façade occidentale.
    À la mort de Mgr Brossays Saint-Marc, en 1878, la cathédrale abrite encore des échafaudages au carré du transept. Son successeur a hâte d’en finir. La coupole inférieure fut enfin posée, décorée seulement de caissons ornés de fleurs. Le cycle de peintures prévu fut stoppé net. La cathédrale avait enfin trouvé le visage que nous lui connaissons aujourd’hui. Après la fin des travaux qui ont duré cinq ans, une nouvelle étape de son histoire commence. Les chapelles latérales, celle du côté nord notamment, attendent une restauration. Les pendentifs de la coupole sont toujours vides alors que des crochets bien visibles étaient prévus pour un décor peint ou sculpté. La parution prochaine d’un ouvrage d’art consacré à l’histoire et à l’apport artistique de la Cathédrale de Rennes1 en permettra une approche renouvelée.