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Dossier
#24
L’École du TNB Le creuset du théâtre rennais
RÉSUMÉ > Troupes nées dans le creuset de l’École de théâtre du TNB, comédiens pour la plupart nourris au lait de Stanislas Nordey, saisis, pour certains, par le désir de mettre en scène, ils sont nombreux à essaimer sur Rennes et sa région. Ils s’appellent Mélanie Leray, Cédric Gourmelon, Guillaume Doucet… Mais d’autres devant la « saturation » rennaise choisissent d’aller travailler ailleurs. État des feux et des lieux.

     La première promotion (1991-1994) a enfanté Les Lucioles, brillant collectif d’auteurs, acteurs, metteurs en scène. En référence à Pier Paolo Pasolini, à qui l’on doit l’invention de cette métaphore des lucioles, pour penser le rapport entre les puissantes lumières du pouvoir et les lueurs survivantes des contre-pouvoirs. Ils ont nom Élise Vigier, Mélanie Leray, Pierre Maillet, Laurent Javaloyes (décédé en 1999) David Jeanne-Comello, Marcial Di Fonzo Bo… Leur première création en 1995, au Théâtre de la Parcheminerie, est presque un manifeste: Préparadise sorry now, pièce écrite par Fassbinder en 1969, en réaction au titre-slogan utopique du spectacle donné au festival d’Avignon de l’été 1968 par le Living Theatre de Julian Beck et Judith Malina: Paradise now.
     Pierre Maillet et Laurent Javaloyes en assurent conjointement la mise en scène. D’une énergie rare, portée par des acteurs qui se donnent sans compter, la pièce signe la naissance d’un collectif. Le spectacle remporte le Grand Prix du Jury Professionnel du festival « Turbulences » au Maillon de Strasbourg.
     Le collectif prend un envol qui ne se démentira pas, traçant un sillon dans lequel, pour autant, les uns et les autres sauront affirmer leur propre identité, leur itinéraire singulier. À commencer par Marcial di Fonzo Bo, à la fois comme metteur en scène et comme acteur.
     Issue de cette promotion pionnière, et originaire de Bretagne, Mélanie Leray a participé à l’aventure des Lucioles: « la seule promo sous Emmanuel de Vericourt et Christian Colin. Constituer un collectif, cela ne se faisait pas à l’époque… J’ai travaillé avec la prison des femmes de Rennes et c’est ce qui m’a aussi donné envie de mettre en scène ». À la suite de ses deux derniers spectacles, créés au TNB (Leaves et Contractions), Mélanie a décidé de quitter les Lucioles et de fonder sa propre compagnie (Asso 2052), à Rennes: « Il est vrai que cela sature. Mais je ressens cette nécessité par rapport à mon travail et à mes projets. Tu es obligé d’avoir une compagnie si tu veux faire du théâtre. Soit tu es artiste associé à une structure, soit tu as une compagnie… Il y a tout un truc romantique autour de la compagnie mais pour moi c’est d’abord une structure juridique et administrative… »

   Vieux Saint-Étienne. Festival Mythos 2013. Ce soir-là, l’église devenue lieu de spectacles accueille une création de Cédric Gourmelon, Au bord du Gouffre. Seul en scène, l’ancien élève de l’école (promotion 1994-1997) souffle l’écriture à vif de David Wojnarowicz, plongeant dans l’underground artistique new-yorkais des années 80. Ces mots rageurs font écho à d’autres, de Jean Genet, Haute surveillance, première mise en scène de Cédric en 1998. Au Vieux Saint-Étienne déjà.
     Entre ces deux dates ? Une quinzaine de spectacles et un parcours artistique entre Brest, Rennes, Paris… En passant par les États-Unis, il y a quelques mois (lauréat de la Villa Médicis hors les murs), et… la Sibérie où il repart demain ! Quoi qu’il en soit, et malgré l’attraction de Paris, la Bretagne est restée son port d’attache. Sollicité par Jacques Blanc, il a été metteur en scène associé au Quartz de Brest de 2004 à 2007. Il est depuis septembre 2011 metteur en scène associé à La Passerelle/Scène Nationale de Saint-Brieuc. La compagnie – sous la direction artistique de Cédric – a été créée à l’issue d’une résidence de création à l’Aire Libre (Saint-Jacques-de-la-Lande) en 2003, qui a beaucoup accompagné et soutenu le travail de Cédric, « en prenant des risques sur, je crois, cinq spectacles en tout. Et juste après la création de Dehors devant la porte en 2002 au TNB ». Depuis 2003, Réseau Lilas est conventionnée avec le ministère de la Culture. « Mon travail a toujours rencontré un bon écho, en particulier dans la presse nationale qui me suit ». Aujourd’hui Cédric se verrait bien à la direction d’un lieu. Tandis que Rachid Zanouda (promotion 1994-1997), fort de la conviction que « l’on travaille mieux en Province qu’à Paris, même si ici on se marche un peu sur les pieds », prépare pour 2014 un spectacle itinérant en coproduction avec l’Archipel de Fouesnant et… la Comédie de Valence, dans la Drôme.

     Eux se sont baptisés le Groupe Vertigo. Autour de Guillaume Doucet (promo 2000-2003) un groupe d’acteurs, parmi lesquels d’anciens élèves de l’école également. Le groupe est devenu artiste associé au théâtre de La Paillette, depuis 2010, et pour quatre ans, dans le cadre des « Résidences de mission » du conseil général. Leur dernière création - Mirror teeth, une comédie cinglante – y a été présentée à guichets fermés il y a quelques semaines; depuis elle tourne en Bretagne, Nantes, Lamballe, Guingamp, Redon, Morlaix… En mai, ils travaillaient sur un cabaret organisé à la Paillette, une formule bien rodée, à raison de trois par saison.
     Le principe: un thème d’actualité, choisi avec les habitants du quartier, est proposé à des acteurs amateurs motivés : « le dernier portait sur le mariage pour tous : on a joué les grandes scènes d’amour classiques avec deux personnes de même sexe, sans toucher une ligne du texte: jubilatoire ».
     Guillaume Doucet s’estime plutôt privilégié de bénéficier de ce partenariat avec un lieu, mais il en pointe les limites: « Nous sommes soutenus par la ville, la région, le département, la Drac, via les aides à la production. Nous ne sommes pas conventionnés, mais nous sommes sur le palier juste avant. Ce qui rend les choses difficiles à Rennes, quand on compare avec les autres villes, c’est qu’en dehors du TNB – qui joue pleinement le rôle qui est le sien – il n’y a pas de lieux pour accompagner artistiquement et financièrement les compagnies ». Constat partagé par l’ensemble des compagnies. « Hormis la Paillette qui a des moyens très insuffisants, et qui est identifié comme le lieu de l’essai et de l’émergence. Du coup, dans une ville qui compte une cinquantaine de compagnies professionnelles, ils croulent sous les sollicitations ». L’Aire Libre a pu jouer un temps ce rôle mais maintenant?

La salle Guy Ropartz: une fabrique de théâtre?

     « Il est temps que les artistes locaux se mobilisent collectivement pour créer des lieux et des dispositifs qui permettent de promouvoir la création théâtrale. En danse les compagnies ont obtenus la création d’un lieu comme le Garage » assène le comédien et metteur en scène Arnaud Stephan. La salle Guy Ropartz, à Maurepas, a un potentiel énorme ». À ce jour, la ville invite des compagnies à l’investir pendant quatre à six mois assortis d’un cahier des charges autour des actions en direction des publics, dont celui du quartier. S’y sont frottés: Cédric Gourmelon, « ce qui nous a permis au cours de ces six mois , de développer un autre rapport à la ville, une implantation qu’on n’avait peut-être jamais encore affirmé de cette manière », puis le collectif Lumière d’août, et enfin le Théâtre à l’envers de Benoît Gasnier… « C’est une belle tentative autour de propositions artistiques différentes » estime Arnaud. « Il y faudrait plus de moyens et plus de temps. On aurait comme cela une alternative pérenne qui pourrait être mise au service des compagnies locales d’une manière intelligente par rapport au quartier et aux propositions artistiques. Plusieurs collectifs ou artistes sont déjà sur des propositions pour ce lieu pour aller plus loin… Aujourd’hui on a besoin de concret, plus que de discours ».

École d’acteurs… ou de metteurs en scène

     Tous soulignent cette chance peu commune d’avoir intégré cette école, d’y rencontrer autant de metteurs en scène marquants, et d’y suivre « une formation qui confère une exigence artistique, qui donne une légitimité, dont on aurait tort de se priver ». Si l’école a formé une centaine d’artistes (et donc principalement d’acteurs) entre 1991 et aujourd’hui, au fil de sept promotions, Arnaud Stephan (promo 2003-2006) estime que « c’est une école qui ne met pas tant que cela d’artistes sur le marché. On a ici l’une des plus importantes sélections (quelques 700 candidatures) on l’on ne sort que quinze tous les trois ans, ça ne surcharge pas le paysage, et cela produit des spectacles dont on aurait tort de se priver! ». Si quelques-uns deviennent metteurs en scène, la plupart seront acteurs. Choisissant de rester en région pour s’inscrire dans des réseaux de solidarité qui n’existent pas à Paris. Participant au foisonnement théâtral en constituant un véritable vivier pour les compagnies régionales, participant amplement aux dispositifs d’action artistique (classes théâtre, ateliers…).
     « Pour moi il n’y a pas une école du TNB. Il y en a plusieurs. Notamment parce qu’il y a eu plusieurs directeurs artistiques, à commencer par Christian Colin, puis Jean-Paul Wenzel et Dominique Pitoiset. Stanislas Nordey a puissamment imprimé sa marque puisqu’il a été directeur de 2000 à 2012. Aujourd’hui Éric Lacascade apporte son enseignement, son approche du théâtre », estime Arnaud.
     « En tant qu’acteur jusqu’en 2010, je n’ai quasiment jamais travaillé à Rennes, mais beaucoup ailleurs en France… Être acteur, ce n’est pas territorialisé! Parmi ceux qui sortent de l’école, quelques-uns, pas beaucoup, ont choisi de devenir metteur en scène et de monter une compagnie. J’habitais à Rennes avant d’entrer à l’école. J’ai rencontré la personne avec qui j’ai fondé ma compagnie et qui est devenue ma femme… Est-ce un bon choix de rester ici puisque c’est un territoire où il y a énormément d’artistes? Il y a beaucoup de compagnies en Bretagne en général mais à Rennes en particulier… on nous conseille de partir, en nous disant ce sera plus facile ailleurs sur d’autres territoires où il y a des structures qui ont des moyens et qui ont moins de présence artistique qu’ici… ».

     À l’exemple de Thomas Jolly (promotion 2003-2006), qui a fait souche en Normandie. « On lui l’a conseillé en lui expliquant qu’il y trouverait, plus facilement qu’en Bretagne, les moyens de travailler ». Fin 2006, il réunit plusieurs jeunes acteurs, dont des anciens de l’école, et fonde La Piccola Familia. Un Arlequin poli par l’amour de Marivaux est créé au Trident, à Cherbourg-Octeville. Sa deuxième mise en scène, Toâ de Sacha Guitry, virtuose spectacle créée au Trident en janvier 2009, est saluée en 2009 par le prix du public de l’Odéon, dans le cadre du festival de jeunes compagnies « Impatience ». Il s’est attelé depuis quelques années à un titanesque chantier : porter à la scène la monumentale trilogie Henry VI de Shakespeare, soit en intégrale plus d’une douzaine d’heures de spectacle. Un parcours qui a retenu l’attention, et qui lui permet, depuis cette année, d’être artiste associé au TNB. Partir…pour mieux revenir !

     Tous frais émoulu de la dernière promo (2012), Sarah Amrous et Yann Lefeivre, auraient bien implanté leur compagnie ici, « mais on nous en a fortement dissuadé. Trop de monde. Pas de ressources disponibles. » La fougue en bandoulière, ils en sont tombés des nues. Toujours domiciliés à Rennes, ils ont trouvé bon accueil pour leur compagnie, en région Pays de Loire, à Laval. Viennent de présenter un travail – une maquette autour de Violences de Didier Georges Gabily – à la Fonderie, au Mans. Espèrent poursuivre, « on sait ou on veut aller dans ce travail, déployer cette langue, en exsuder toute la poésie ». Ils cherchent des partenaires pour les accompagner dans cette aventure, à l’horizon 2014, font des plans sur la comète: « ce serait magnifique d’être au festival Mettre en scène ».
     Dans l’immédiat, ils ne chôment pas, enchaînent les propositions, entre plusieurs engagements et projets à venir, parfois avec d’autres de la promo. Acteurs ou metteurs en scène? Sarah revendique « le geste de mise en scène. Essentiel. Même pour fortifier la comédienne. Les deux sont très liés. J’ai une approche du plateau de quelqu’un qui aime et connaît le plateau et les acteurs. Et cela me permet d’être plus heureuse dans les projets que je ne mets pas en scène moi-même. » Par contre, sur un plan économique, il n’y a pas photo: « C’est le travail d’acteur qui va nous faire vivre dans l’immédiat ». Même si pour travailler trois mois à Paris, « il va falloir trouver un canapé pour dormir le soir, parce que l’hébergement n’est pas pris en compte. On est censé être Parisiens ». Pas de temps mort pour eux, à la suite de ces trois années denses et soutenues : « tout le monde nous disait la déprime post-école après tu verras, mais j’aurai bien aimé avoir un temps pour décanter, là ça va vite, tu peux pas partir trois semaines en vacances, heureusement le rythme est tellement soutenu pendant trois ans, on a été habitué: « L’acteur-créateur, il faut se saisir, il ne faut pas attendre, il faut rentrer par les petites portes, nous disait Stan (Nordey). On a été à bonne école! »