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Histoire & Patrimoine
#35
Julien Ballé, une production architecturale éclectique
RÉSUMÉ > Le nom de Ballé est aujourd’hui encore associé à l’hôpital Pontchaillou, dont l’un des pavillons perpétue la mémoire. Architecte de cet ensemble dédié à la médecine au tournant de 1900, Julien Ballé construit aussi à la Belle Époque plusieurs hôtels et immeubles pour la bourgeoisie rennaise. Dix ans plus tard, il devient une figure de premier plan dans la mise en oeuvre des premiers logements sociaux à Rennes et dans la région, les fameuses habitations à bon marché (HBM).

     C’est sans doute la profession de son père, entrepreneur devenu agent-voyer (chargé d’entretenir les chemins communaux), qui donne à Julien Ballé le goût de l’architecture. Né le 29 octobre 1864 à Rennes, il suit le parcours de l’école de Beaux-arts de Paris à partir de 1885, dans l’atelier Gerhardt et Redon, tout en « faisant la place » chez des architectes, comme dessinateur puis inspecteur des travaux, durant l’Exposition universelle de 1889. Après sept années d’études brillantes (il est admis au 2e concours d’essai du Grand Prix de Rome), il est diplômé le 16 juin 1892 et regagne sa ville natale. Très tôt impliqué dans les associations professionnelles, Julien Ballé s’engage également en politique sur la liste républicaine radicalesocialiste aux élections municipales rennaises de mai 1896.

     Outre ses activités d’architecte libéral, Julien Ballé possède plusieurs titres officiels. Ainsi, en 1894, s’il n’est pas recruté pour le poste d’Architecte de la Ville de Rennes, acquis par Emmanuel Le Ray, il est toutefois engagé sur concours comme architecte des Hospices Civils, de 1894 (date du départ à la retraite de Jean-Baptiste Martenot) à 1919. Il sera également en charge de la Maison centrale et des Bâtiments de l’État jusqu’en 1911. Dès 1899, Ballé élabore un ambitieux projet pour un nouvel hôpital au nord-ouest de la ville, à Pontchaillou, après un premier projet abandonné de Jean-Baptiste Martenot. Il est vrai qu’en dehors de l’Hôtel-Dieu, fraîchement érigé, les autres équipements n’étaient pas satisfaisants pour l’accueil des malades. Les hospices civils ont donc prévu la création d’un hôpital de plus de 1 300 lits.
    Ce grand dessein le propulse comme un des architectes les plus importants de la place. Dans son avant-projet, il propose l’érection de douze pavillons de deux étages, isolés et organisés en X autour de la cuisine, élément clé de cet ensemble. Afin de relier le tout, Julien Ballé projetait la création d’un petit réseau de chemin de fer, partant de la cuisine vers les autres bâtiments par une voie ferrée couverte permettant à de petits wagonnets de les traverser. Les pavillons sont à la fois simples et modernes. Leur élévation est sobre, marquée par les croix métalliques les raidissant au niveau des planchers réalisés en ciment armé, un procédé encore novateur à la fin du 19e siècle. La modestie des moyens mis en oeuvre explique le parti pris en matière de décor. De surcroît, l’ampleur du projet obligea les maîtres d’ouvrage à ne réaliser qu’une partie du plan qui a perdu de sa saveur au regard du projet initial. Seuls sept pavillons sur les douze projetés seront réalisés. La cuisine et le chemin de fer intérieur sont abandonnés. L’inauguration de l’édifice inachevé est réalisée par le président du Conseil Georges Clemenceau et de Joseph Ruau, ministre de l’Agriculture, les 7 et 8 juin 1908.
    Ce sera la seule oeuvre publique d’envergure de Julien Ballé. En effet, après la guerre, ses travaux pour les hospices sont plus modestes, comme le centre de désinfection installé à l’Hôtel-Dieu rue de la Cochardière et élaboré en 1919 avec Wilfrid Guillaume. À cette date, il cède alors une partie de son activité à Georges-Robert Lefort. Toutefois, le chantier de Pontchaillou lui offre l’occasion de remporter de nombreuses commandes dans le privé.

     Avant cette réalisation d’envergure, Julien Ballé débute à Rennes par la construction d’hôtels particuliers pour une clientèle à dominante bourgeoise qui va lui fournir de nombreuses commandes jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine de constructions durant cette période. Les hôtels des 24 et 26 boulevard de la Duchesse Anne qui lui sont attribués seraient des oeuvres de jeunesse qui ne reflètent pas ses orientations futures. Son activité semble s’animer davantage après sa nomination en tant qu’architecte des hospices, lui donnant un certain lustre dans la région. Ballé est en effet probablement l’auteur en 1895 de l’hôtel situé au 69 avenue Aristide Briand, en voie de destruction, proche du point de vue du style, mais en plus soigné, de deux autres hôtels érigés au 7 rue Alexandre Duval (1895) et au 6, rue Anatole Le Braz (1910), pour le notaire François. De même, l’hôtel Codrington au 71, rue de Paris, qui vient d'être détruit, est l’une de ses premières oeuvres marquantes à Rennes. Son usage de la brique est aussi bien illustré dans la maison du 12, boulevard Sébastopol, pleine d’équilibre et de sobriété dont la lucarne-fronton domine la travée centrale (qui sera une de ses marques) ou encore dans sa propre maison du 9, rue Alphonse Guérin, érigée en 1895.
    Ballé sait aussi s’adapter au goût des maîtres d’ouvrage plus éclectiques. Il en propose une version personnelle avec un traitement rationaliste visible dans son oeuvre au début du 20e siècle, comme dans l’hôtel construit pour le notaire Mahé au 9, rue de la Borderie (1910). Ce dernier, polychrome et très symétrique, concentre l’essentiel du décor au niveau de sa lucarne centrale.
     L’oeuvre de Ballé reflète aussi les programmes en vogue comme les immeubles de rapport qui fleurissent à Rennes au tournant du siècle, à l'image de l’immeuble du 34, boulevard Laennec, réalisé dans un style Louis XVI un peu sévère.
     Dans l’ensemble, Julien Ballé s’oriente davantage dans une oeuvre plus rationaliste, comme dans l’ancienne carrosserie Quinton érigée en 1901 au 6, rue de Saint- Malo où il fait un large usage de la brique. Par là, il se rapproche d’autres architectes de sa génération, à l’instar d’Emmanuel Le Ray.

     Après 1918, Julien Ballé entame un revirement dans sa carrière pour se consacrer pleinement aux HBM (habitations à bon marché). Franc-maçon de la Loge « La Parfaite Union » à partir de 1894, Ballé est aussi très engagé dans la cause du logement social. Il fait partie de plusieurs organismes comme le Comité de Patronage des HBM du département d’Ille-et-Vilaine créé en 1904, dont il est successivement membre, secrétaire-trésorier (1922) puis vice-président (1933). Au sein de ce comité, Ballé établit des plans types d’HBM et se charge de la visite des logements en Ille-et-Vilaine afin de délivrer un certificat de salubrité ouvrant des droits à prêts pour les HBM.
    Julien Ballé est également architecte de l’Office public départemental d’HBM dès sa création en 1921 et en devient le vice-président à partir de 1929. Il siège aussi à la Société Anonyme de Crédit Immobilier de Rennes, chargée d’apporter des emprunts à taux réduit pour les HBM. Si Julien Ballé s’engage avec ardeur dans l’histoire du logement social, il délaisse progressivement son activité libérale pour l’interrompre complètement après 1929, soit au moment de l’application de la Loi Loucheur (1928), plan quinquennal qui octroie des avantages dans la construction d’HBM. En effet, il ne construira que deux édifices à Rennes à titre libéral après la Grande Guerre. L’architecte Albert Hec reprendra son cabinet en 1942, après son décès, à Rennes.