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Dossier
#26
Jeannine Hervé, femme d’élu, pas toujours rose ?
RÉSUMÉ > Cheminer aux côtés de l’élu du coeur, élu du peuple, n’a rien d’une sinécure, tant le quotidien familial peut être bousculé par l’agenda politique. Durant trois décennies, Jeannine Hervé a ainsi avancé aux côtés de son époux, Edmond, maire, député, ministre. Aujourd’hui, épouse de sénateur, Jeannine Hervé est aussi la mère d’un jeune conseiller général et conseiller municipal, Marc, l’un des trois enfants du couple. Rencontre sans faux-semblants avec une femme engagée mais libre.

     « Dans ses caricatures, le dessinateur Nono surnommait les habitants de Matignon, “les premiers ministrables” et ceux de Lennon d’où je suis originaire, “les Beatles”. Depuis, Edmond me présente avec humour : “ma femme, c’est une grande blonde et une Beatles” ». Le ton est donné ! Avec simplicité, bonhomie et néanmoins retenue, Jeannine Hervé offre un éclairage sensible et sincère sur la vie d’épouse d’un homme politique. Femme de terrain et de tête, à l’aise dans ses baskets comme celles qu’elle porte ce jour-là, elle cultive le bon sens davantage que les faux-semblants.

     L’histoire débute en 1976. En compagnie de socialistes de la Faculté de droit, la jeune Finistérienne se retrouve dans une crêperie auprès de Jean-Michel Boucheron, vainqueur des cantonales face à Henri Fréville, candidat sortant. Edmond Hervé, âgé de 34 ans, réélu, rejoint le groupe. Une mission délicate est confiée à la jeune étudiante : couper la cravate de l’élu. Une tradition ! « Edmond impressionnait. J’étais la seule à ne pas le connaître personnellement. Je n’étais pas socialiste, mais sympathisante. On m’a donné les ciseaux ». Une audace qui ne fut sans doute pas pour déplaire à son aîné de onze ans.
    « Je n’ai plus revu Edmond jusqu’aux élections municipales, en 1977 ». Une licence de droit public en poche, Jeannine poursuit sa formation à l’Institut d’urbanisme de Paris. Les copains rennais l’invitent à Saint-Symphorien pour fêter la victoire de leur nouveau maire. « À minuit, Edmond est arrivé aphone et a salué tout le monde… » Jeannine ne révèle rien de plus, mais l’oeil pétille.
    « En avril 1978, mes études achevées, je suis revenue à Rennes pour un stage. Le 5 août, nous nous sommes mariés dans mon village ». Dans le prolongement de son stage, la jeune femme est recrutée en tant que chargée d’études à l’ARIM Bretagne. « Notre vie était sportive. Edmond était pris en permanence par sa fonction et je sillonnais les quatre départements pour lancer les OPAH, opérations programmées d’amélioration de l’habitat ». En 1980, de cette union naît Catherine. « Les soirs où j’étais absente, Edmond s’arrangeait pour prendre notre fille chez la nourrice ».
    En 1981, la nomination d’Edmond Hervé au sein du gouvernement de Pierre Mauroy bouleverse la donne. « La situation est devenue extrêmement difficile. Edmond était pris la semaine, à Paris, et les week-ends, à l’Hôtel de Ville. Les déplacements étant un aspect important de mon travail, j’ai estimé que je ne pouvais plus remplir ma mission honnêtement. Je ne suis pas une wonder woman capable de tout faire ! En juillet 1981, j’ai démissionné pour ne plus jamais reprendre, sans savoir que ce serait définitif. Ce n’était pas évident, j’avais étudié et mon travail me plaisait beaucoup. » Pour l’état-civil, Jeannine devient « mère au foyer » et l’appui discret et infaillible du maire. Dans un premier temps, elle multiplie les navettes entre Rennes et Paris, « pour être près de mon époux et lui de sa fille ». Les ors de la République sont fécondes : « Enceinte des jumeaux, Marc et Ronan, dès avril 1982, je suis restée définitivement à Rennes, alors qu’Edmond a été ministre ou secrétaire d’État jusqu’en 1986. Des années lourdes et mouvementées ! ».

     Sans détour, elle affirme : « Le fait que je ne travaille plus a rendu notre vie plus harmonieuse. Ce qui peut expliquer la longévité de la vie politique d’Edmond, d’une part, et celle de notre couple, d’autre part. Il était disponible à l’extérieur parce qu’à l’intérieur, il n’avait aucune charge domestique ». Jeannine Hervé, femme soumise ? Que nenni ! « Pour être femme d’un homme politique, il faut être indépendante et autonome. Les femmes de marins en Bretagne le savent ! ». Être femme de caractère suffit-il ? « Partager le même intérêt pour la politique est l’autre condition, car on vit avec elle, 24 h sur 24. Françoise Giroud, avant d’entrer en politique, disait que celle-ci était la maîtresse la plus exigeante qui soit ». La disponibilité et le recul de Jeannine permettent de relativiser les évènements. « Edmond trouvait à la maison la quiétude nécessaire pour se ressourcer. Pas toujours facile quand on a envie de se raconter et partager des temps en famille ». Préserver une vie « normale » est d’emblée un leitmotiv chez les Hervé : « La vie politique ne connaît jamais d’arrêt, même en vacances. À partir de 1987, je passais l’été avec les enfants dans les Côtes d’Armor pour permettre à Edmond de prendre trois semaines de congés. Il pouvait rejoindre Rennes en cas d’urgence ». Les enfants devenus grands, le couple s’aménage un voyage familial à Pâques. « C’est important de créer des souvenirs familiaux et d’ouvrir l’univers des enfants ».

     Vie « normale » dans « un quartier normal », Jeannine Hervé souligne la chance d’avoir rencontré des voisines « devenues de très grandes amies ». Une solidarité sans faille dans la décennie la plus noire du couple, entre 1992 et 1999, marquée par l’affaire du sang contaminé. Les rumeurs vont alors bon train : « On se disait que ma valise devait être drôlement abîmée vu le nombre de fois où j’étais sensée avoir quitté la maison et être revenue. Il y avait aussi les rumeurs de tentatives de suicide d’Edmond. C’était inimaginable ce qu’on a pu raconter ». La préoccupation du couple est de préserver les enfants : « Leur père a été traité d’ “assassin”. C’était d’une grande violence. Heureusement, les Rennais se sont toujours montrés respectueux ». Pour autant, la vie politique de son époux lui a offert de belles ouvertures. « Je l’ai accompagné en déplacement dans les villes jumelées par exemple. Quand, j’allais à une réception, c’était parce que je le choisissais et toujours par amitié. Un supplément d’âme ! Jamais je n’ai représenté mon époux, estimant que je n’étais pas l’élue du peuple ». Jeannine évoque aussi les balades dominicales à pied pour suivre les chantiers ou les temps festifs.
    Oreille attentive « comme tout citoyen qui fait ses courses et rencontre des habitants », elle conseille le maire. On la dit chaleureuse, plus facile d’accès. « Nous étions complémentaires. Même si Edmond écoutait, il n’était pas toujours disponible tant la question de la décision est difficile. Une vie de maire, c’est une vie de réunions permanentes. Dès 8 h, il était à la mairie souvent jusqu’à minuit. Le samedi, il recevait les Rennais, sur rendez-vous tous les quarts d’heure. » 

Femme d’influence, homme de caractère

     Les discussions sont légion dans le couple Hervé, enrichies par les lectures. « C’était entre nous. Je ne suis jamais intervenue ni auprès d’un adjoint ni auprès de l’administration. » Rien ne filtre de ces échanges, seule une anecdote : « J’ai emmené trois fois mon époux voir le fleurissement de l’Odet. Il a fini par admettre l’intérêt de fleurir la Vilaine. Je pense que l’embellissement d’une ville passe par les fleurs, même si ce n’est pas vital. » Simple histoire de potiches ? Qu’on ne s’y trompe pas. « Certains élus se plaignaient du lundi matin… »
Femme d’influence certes, mais homme de caractère : « Toute grande décision demande d’avoir une vision claire et prospective. Edmond a toujours réfléchi sur le long terme. Quand il prenait une décision, il s’y tenait. » Et de citer les rues piétonnes, le Val, les Champs Libres… « Edmond est aussi respectueux des personnes, conscient de ses racines et de ses origines rurales. Pour lui, la laïcité est le respect et l’ouverture aux autres. Il a créé les centres islamistes et israélite pour cette raison ».
    Et les meilleurs moments ? « J’ai toujours admiré l’organisation de grands événements gratuits qui permettent à tous de participer et de vibrer en même temps. C’est important pour une ville, même si j’ai toujours redouté des dérapages. » Et de citer les incendies en coeur de ville. « Tout ce qui touche les citoyens affectent le maire », et de fait sa famille.

     Grande fut donc la surprise quand leur fils Marc s’est lancé en politique : « Jamais, il n’avait émis ce désir, même s’il avait fait Sciences Po Toulouse. Il préparait un Master 2 de finances publiques, à Rennes, quand il s’est inscrit à la section sud du PS. Nous savions que nos enfants étaient de gauche et n’étaient pas en révolte contre les idées de leur père. C’était gratifiant ». En 2007, Marc rejoint l’équipe de Daniel Delaveau. « Nous sommes tombés de la lune. Il a commencé son bout de chemin, élu au conseil général plus jeune que son père ». Et d’ajouter : « Je croyais les angoisses terminées, elles recommencent, mais c’est aussi une fierté, car nombreux sont ceux qui décrient l’engagement politique. » Jeannine constate une évolution générationnelle. « La vie politique de mon fils empiète moins sur sa vie privée. »
    Quant à Edmond Hervé, il poursuit sa carrière. « J’étais peu favorable qu’il se présente aux sénatoriales. Quand il a quitté la mairie, je pensais que nous allions pouvoir respirer. J’ai compris que pour son équilibre personnel, il devait finir plus en douceur. Son credo, c’est le travail : il a travaillé, il travaille, il retravaille encore ».
    Jeannine Hervé ne regrette rien des choix de son élu de coeur. Elle même milite depuis quelques années au Mouvement européen pour une Europe fédérale. Avec pudeur, elle livre : « Être seule tous les soirs avec trois enfants n’a pas toujours été agréable ! Encore aujourd’hui, la solitude du soir n’est pas facile ». Une vie normale certes, mais animée par un profond respect et une grande humanité !