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Dossier
#02
« Il faut sortir d’une logique mortifère »
RÉSUMÉ > Les crises successives qu’a traversées Rennes 2 ces cinq dernières années ont eu des conséquences désastreuses : budget pénalisé, déficit de formation, désarroi des personnels et des étudiants, baisse des effectifs, mise en cause de l’image de l’université. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : radicalisme de certains étudiants, passivité des opposants au blocage des cours, attentisme des enseignants et de leurs syndicats… Pour aider à sortir d’une logique « mortifère », s’est constitué le collectif « Rennes 2, Une autre parole ».

     Rennes 2 a subi ces cinq dernières années plusieurs crises sérieuses se traduisant à chaque fois par un blocage et la perte de plusieurs semaines de cours. Nouveauté de 2009 : les étudiants n’ont fait cette année qu’emboîter le pas des enseignants-chercheurs mobilisés contre la réforme de leur statut et des concours d’enseignement. Certes d’autres universités ont connu, au fil des années, de semblables perturbations (cf. Toulouse -Le Mirail), mais Rennes se singularise à la fois par la dureté des mouvements et par leur durée globale (les quatre dernières périodes de blocage y représentent au total la perte d’une vingtaine de semaines d’enseignement que les cours de rattrapage n’ont que partiellement compensées).

Un blocage aux conséquences désastreuses

     Le blocage est un procédé archaïque et scandaleux qui transforme à chaque fois Rennes 2 en un espace de non-droit. Et cela par la vertu de décisions d’assemblées dites générales totalement dépourvues de légitimité, et qui ne rassemblent jamais qu’une toute petite partie des effectifs. Soit au maximum 1 500 à 2 000 participants l’an dernier – dont un grand nombre d’éléments extérieurs – et ce pour une population de 16 000 inscrits.
     Hormis le déficit de formation, le blocage n’est pas sans s’accompagner de très lourdes incidences, et sur différents plans : d’un point de vue matériel d’abord, le budget de l’université se trouve à chaque fois lourdement grevé par les dépenses résultant par exemple de la remise en état de locaux saccagés ou encore de la location des services d’une société spécialisée, rendue indispensable par la dégradation des conditions de sécurité, elle-même consécutive à l’irruption dans les locaux d’éléments étrangers.
     Ensuite, sur le plan psychologique : désarroi de bon nombre de membres du personnel autant administratif qu’enseignant, insultés, bousculés, menacés, pour peu qu’ils manifestent leur opposition à certaines dérives du mouvement. Et surtout écœurement de la majorité des étudiants, privés de cours contre leur gré, inquiets de la dévalorisation probable de leurs diplômes, écœurement qui ne manque pas à son tour de se traduire par une évaporation des effectifs : de 22 000 inscrits il y a une dizaine d’années à 16 000 en 2008, chute que la démographie ne suffit à expliquer.
     En outre, une partie de ces jeunes seront par la suite contraints de prolonger la location d’une chambre ou d’un appartement, ou même obligés de renoncer à un emploi saisonnier, pour cause de modification du calendrier des examens – difficulté délibérément ignorée des instigateurs du mouvement. La lutte ne justifie-t-elle pas tous les sacrifices ?
     Quant à l’image de Rennes 2, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’elle s’est, ces dernières années, considérablement dégradée. D’abord à l’échelon de Villejean, dont les habitants ont été choqués par telle opération dite d’auto-réduction – en fait un simple pillage – visant une supermarché, et qui est loin d’avoir favorisé l’intégration tant recherchée de l’université à son quartier. Que dire ensuite de l’accueil d’ores et déjà offert dans nombre d’entreprises aux étudiants de Rennes 2 en quête d’un stage ? Quant aux universités étrangères, notamment européennes, combien parmi elles ont retiré leur confiance à notre établissement, échaudées par la récurrence de blocages qui ont provoqué le retour en leur sein, parfois en cours même de semestre, d’étudiants découragés ! Rappelons à cet égard que, lors du dernier mouvement, la vice-présidente en charge des relations internationales a fini par se démettre de son mandat, considérant qu’il ne lui était plus possible de continuer à assumer sa fonction en toute dignité.

     À ces crises, il y a des explications de nature différente.
     D’abord, il est sûr que de tels mouvements se nourrissent d’une réelle inquiétude, celle qu’éprouvent, partout en France, les étudiants de Lettres et Sciences humaines au regard de leurs chances d’insertion dans la société. En son temps, cette inquiétude a pu justifier la mobilisation contre le CPE, légitimement mal accepté par le milieu étudiant. Mais le retrait du projet de loi, considéré comme une « victoire politique », n’a pas manqué de fournir en retour un argument de poids aux instigateurs des mouvements revendicatifs ultérieurs, qui ne cessent depuis lors d’y faire référence pour justifier les blocages. Ce premier facteur ne saurait cependant tout expliquer.
     Les états-majors de certains syndicats étudiants semblent en effet considérer que Rennes 2 « la rouge », notamment à l’opposé de Rennes 1 la modérée, se doit d’être le fer de lance des grandes mobilisations, quel qu’en soit l’objet, rôle pleinement accepté sur place, voire revendiqué par fidélité à une réputation de laboratoire des luttes. Paroxysme revendicatif : le mot d’ordre, apparu il y a deux ans en exclusivité partagée avec Toulouse-Le Mirail, de transformation de Rennes 2 en « Université populaire », qui aurait décerné des diplômes sans condition d’examen. Et c’est précisément le refus opposé à cette revendication par le président Gontard qui a provoqué l’odieuse agression dont il a été victime il y a peu.
     Ensuite, la passivité des étudiants non bloqueurs, largement majoritaires, et la rapidité avec laquelle ils abandonnent le campus aux mains des éléments les plus déterminés, même si on peut en comprendre les raisons, contribuent à chaque fois à l’enlisement de la situation. Ce qui est en revanche moins compréhensible est le niveau décevant de participation aux différentes consultations électroniques organisées par la présidence lors des derniers mouvements à propos de la reprise des cours – résultat que ne se font pas faute d’exploiter les plus radicaux, faisant ainsi, et paradoxalement, valoir leur « non représentativité »…
     On peut également déplorer l’attentisme d’une partie des enseignants et enseignants-chercheurs, s’accommodant – bon gré, mal gré – de la situation créée par le blocage, même répétée. Quant à certaines de leurs propres organisations syndicales, force est de reconnaître que leur opposition déclarée audit blocage ne s’est pas toujours accompagnée d’une égale détermination à le combattre. Cela a pu mettre dans l’embarras la présidence de l’université, émanation d’une majorité syndicale dont le soutien est indispensable pour le bon fonctionnement des différents organes de l’institution. Ces mêmes organisations n’ont-elles pas d’ailleurs trouvé dans le dernier mouvement étudiant un heureux soutien à leurs propres revendications ?
     Dans ce contexte de quasi-paralysie du fonctionnement normal de notre établissement, des membres des différentes catégories de personnel se sont mobilisés, au sein du collectif « Rennes 2, une autre parole », dans le dessein d’aider Rennes 2 à sortir de la logique mortifère qui l’empêche d’exercer pleinement sa fonction de pôle universitaire moteur au sein de la région du Grand Ouest.