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Initiatives urbaines
#08
Gouvernance territoriale. Des élus de plus en plus éloignés des citoyens
RÉSUMÉ > Réformer la gouvernance territoriale était et demeure une nécessité car la complexité des situations actuelles et les modes de gouvernance participent à rendre moins lisibles les finalités de l’action publique locale. De nombreux citoyens se sentent, à tort sans doute, mais non sans raisons, peu concernés par celle-ci, voire manifestent une défiance réelle à l’égard des élus locaux, même si, notamment dans les petites communes et les cantons ruraux, les élus municipaux, les maires et les conseillers généraux demeurent appréciés.

     Les éléments les plus controversés des réformes des collectivités locales dont le gouvernement a pris l’initiative ont été l’affaiblissement progressif de l’autonomie fiscale des collectivités locales d’une part, et la création d’un nouvel élu, le conseiller territorial qui serait appelé à remplacer le conseiller général et le conseiller régional.

     La remise en cause de l’autonomie des collectivités locales repose à la fois sur la volonté de limiter leurs ressources en ne compensant pas « à l’euro près » les rentrées fiscales que les collectivités locales ne collectent plus notamment en raison de la suppression de la taxe professionnelle.  

     Nombre d’élus avaient alors soutenu la perte d’autonomie que représente la disparition programmée de la taxe professionnelle qui reposait sur des intensités d’imposition décidées par les communes ou les intercommunalités. Parmi eux, les plus libéraux sur le plan économique, attachés à ce que leurs budgets municipaux apparaissent comme le reflet de l’attractivité économique de leurs territoires (il suffit de penser aux élus des richissimes communes de l’Ouest parisien), mais aussi les élus locaux, de droite ou de gauche, dont une rhétorique entrepreneuriale constitue désormais l’essentiel du discours politique.
     Lors de ses deux dernières législatures au pouvoir, la gauche et les maires de droite de communes défavorisées avaient dénoncé les inégalités entre collectivités locales que créaient les ressources de la taxe professionnelle. Nombre d’élus avaient soutenu la création de systèmes de péréquation pour compenser les écarts constatés, par exemple, entre les Hauts-de-Seine et la Seine- Saint-Denis (création du FSRIF, Fonds de solidarité entre les communes de la région Ile-de-France).

     En réalité, l’opposition à l’évolution provoquée par l’actuel gouvernement devrait plutôt reposer sur l’insuffisance des dotations de compensation fournies par un Etat qui confie de nouvelles missions aux collectivités locales. Or ces dernières ne sont pas toutes soumises à des situations comparables. Le financement du Revenu de solidarité active (RSA, successeur du RMI) ne représente pas les mêmes réalités dans les départements où les populations sont moins concernées par la pauvreté que dans, par exemple, le Pas-de-Calais. La réelle autonomie des collectivités locales doit être celle qui consiste à répartir librement, en fonction de priorités locales, les recettes de la collectivités vers des dépenses correspondant aux compétences de ces collectivités. Le principe de la compétence générale, finalement maintenu dans la loi, peut s’inscrire dans une telle philosophie. Hélas, le gouvernement transfère aux collectivités locales la mise en place et la gestion de politiques nationales décidées par le parlement.

Une intercommunalité renouvelée et lisible

     Permettre aux citoyens d’élire, dans des collèges électoraux municipaux, des délégués communaux dans les assemblées des actuels EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale) ou les communautés de communes est un élément de progrès. La clarté du débat politique local y gagnera beaucoup. Combien de citoyens étaient jusqu’à ce jour informés et comprenaient la subtile distinction entre le fait que les élus municipaux rennais de l’UMP siègent dans l’opposition au Conseil municipal (et leur page dans Le Rennais est la tribune de l’opposition) tandis qu’ils siègent dans la « minorité » (il convient de ne pas dire « opposition ») à Rennes Métropole, aux côtés d’élus de leur sensibilité et membres de l’exécutif communautaire? La distinction entre « opposition » et « minorité » est subtile.
     Le mode de désignation des élus communautaires a favorisé, dans de nombreuses intercommunalités, les combinaisons entre élus aux sensibilités opposées et empêche l’affirmation de projets d’agglomération alternatifs démocratiquement discutés lors des campagnes électorales. Des alliances pouvaient se nouer entre maires de bords différents, au détriment de la présentation de projets portés, dans une agglomération ou une communauté de communes, par l’ensemble des élus partageant des valeurs proches au sein d’une même formation ou d’une coalition.
     Afin de favoriser ces alliances qui troublent les électeurs, rien n’a, jusqu’à ce jour, été d’ailleurs prévu pour garantir la présence de représentants des élus municipaux d’opposition dans les assemblées des communautés de communes et d’agglomération. Pourtant, la démocratie a tout à y gagner. Certains maires courageux, souhaitant un réel débat dans les instances, proposent à leurs oppositions plus que ce que la stricte arithmétique permettrait dans les conseils de communautés (voir la Communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest), dans les commissions d’appel d’offres (présidence alternée des commissions, présence de deux élus de l’opposition sur les 6 membres des commissions).

     Il conviendrait aussi d’interdire le cumul de fonctions exécutives municipales et communautaires. Ce cumul, spécificité française, a plusieurs effets pervers. Exerçant plusieurs fonctions, les élus consacrent à chacune d’elles moins de temps que s’ils n’avaient qu’une seule fonction exécutive. Par ailleurs, un élu municipal et communautaire que nous connaissons a déclaré récemment ne pas pouvoir se rendre aux réunions (régulières et nombreuses) d’une importante instance où il devrait représenter sa ville en raison de ses fonctions de collaborateur d’élu dans une autre collectivité locale. Manifestement, il lui était difficile de demander à bénéficier des décharges professionnelles et autorisations d’absences que la loi autorise pour exercice d’un mandat local ! Rappelons d’ailleurs, qu’il conviendrait sans doute de renforcer la protection réelle des salariés exerçant un mandat.
     D’autres élus, n’exerçant eux, plus d’activités professionnelles, expliquent leur absence à des réunions par le cumul de leurs mandats locaux. Dans ce cas, on l’aura compris, les indemnités d’élu local dépassent parfois allègrement celles d’un parlementaire et voient leur fonction dénaturée : ainsi, un universitaire devenu adjoint au maire socialiste de Dijon déclarait l’an dernier au journal Le Monde, sa surprise, en 2008, de voir que sa seule indemnité d’adjoint aurait pu être supérieure à son salaire de professeur des universités, alors que la justification de cette indemnité est de compenser l’éventuelle baisse de revenus qu’entraîne la réduction de l’activité professionnelle.
     Rappeler cette réalité n’est nullement faire preuve de démagogie car, à l’indemnité municipale peuvent s’ajouter les indemnités d’élu communautaire et les jetons de présence en syndicat intercommunal ou société d’économie mixte. Les sommes en jeu ne sont pas importantes à l’échelle d’un budget d’une collectivité, mais significatives rapportées aux nombre d’élus concernés. Certains communes et leurs édiles ont pris des décisions courageuses, dans l’agglomération de Rennes (Cesson-Sévigné, Chevaigné), comme ailleurs des municipalités, régions et départements ont pu le faire. Dans l’Aube et dans un nombre croissant de collectivités locales, par exemple à la région Rhône-Alpes et à la région Ile-de- France, les indemnités des élus, pourtant nettement inférieures à celles observées en Bretagne alors que le peuplement respectif des régions permettrait le contraire, sont fonction de l’assiduité des élus aux sessions de l’assemblée. Nous avons siégé dans des instances municipales et de communauté d’agglomération où les indemnités étaient inférieures au maximum autorisé et où seule la participation effective à l’intégralité d’une réunion telle que la commission d’appel d’offres permettait que l’indemnité soit majorée, et ce sans distinction d’appartenance à la majorité ou à l’opposition.

La réforme contre la diversité sociale et la parité

     Dans ce cadre, le problème n’est pas tant la suppression des deux statuts de conseiller régional et de conseiller général au profit d’un seul statut unique de conseiller territorial, mais bien la réduction du nombre d’élus que cette réforme va entraîner. En effet, nous pensons que le maillage territorial par de nombreux élus est une bonne chose pour la démocratie et la critique poujadiste contre le nombre d’élus nous semble esquiver les vrais problèmes. Il n’y aura qu’un peu plus de 3 000 conseillers territoriaux, au lieu des 6 000 actuels élus départementaux et régionaux.
     La lutte des places provoquera, dans les mois et années à venir, une exacerbation des querelles de personnes intrapartisanes et une professionnalisation encore accrue des élus. Cela diminuera aussi la diversité sociale et politique des élus ainsi que l’accès de femmes aux fonctions électives. Dans un autre registre, le temps permettra de voir si le nouveau mode d’élection autorisera les régions à devenir des acteurs plus identifiés et plus puissants, à l’image de ce que l’on observe dans les autres pays d’Europe, où elles gèrent des budgets autrement plus importants. Pour ce qui concerne l’accès des femmes aux fonctions électives, il est curieux de constater que personne n’a repris la proposition de l’universitaire Françoise Gaspard, ancien maire d’une commune d’Eure-et- Loir, à savoir l’élection de « tickets » de deux personnes, un homme, une femme, dans chaque circonscription de conseiller territorial. Les travaillistes gallois ont expérimenté cette solution.

     Afin d’éviter les conflits d’intérêts, la confusion des genres, et de favoriser la mixité sociale au sein des assemblées d’élus, il conviendrait que la loi fixe des règles plus contraignantes: on peut actuellement être élu d’une commune et salarié de la structure intercommunale incorporant la commune, où vice-versa, être salarié d’une commune membre d’une structure intercommunale où on est désigné par une autre commune dont on est aussi l’élu.
     Certes, dans de nombreuses agglomérations, mais Rennes ne s’inscrit hélas, absolument pas dans cette démarche (contrairement à d’autres agglomérations, voir Brest), les formations politiques évitent de présenter comme candidats des personnes travaillant dans une collectivité locale voisine.
     C’est à juste titre que Jacques Rolland, adjoint au maire de Rennes durant les mandats d’Edmond Hervé, affirme: « Peu à peu les grandes villes, les agglomérations, les départements, les régions voient siéger des élus dont les fonctions électives (ou quasi électives quand il s’agit de collaborateurs) sont la seule activité et la seule source de revenus, leur métier en somme.Sur le court terme cela peut sembler un gage d’efficacité mais il est évident qu’au fil du temps une coupure se crée avec la population car s’installe un « corporatisme » des élus […] Le troisième problème, car le temps de chacun est mesuré, est l’apparition massive de collaborateurs d’élus qui, sans la légitimité conférée par l’élection, ni celle donnée par la compétence de la fonction publique territoriale, agissent « à la place » des élus ou des administratifs. Du coup il n’est pas rare de voir des élus n’assumer pleinement aucun de leur mandat […] Enfin la « professionnalisation » de la fonction d’élu contribue à une homogénéisation sociale des assemblées élues; il est courant que les assemblées se composent majoritairement de citoyens n’ayant connus que des activités d’élus, de collaborateurs d’élus, de contractuels des collectivités territoriales ! » .
     Sur ce dernier point, nous partageons l’inquiétude de Jacques Rolland même si les cas extrêmes de composition majoritaires des assemblées qu’il a constatés ne sont heureusement pas si fréquents. En vingt ans, le pourcentage de collaborateurs d’élus parmi les élus indemnisés en France est passé de 1 % à 15 % environ, alors que cette profession représente 1 % de la population active. Il est à craindre que les réformes votées ne permettent aucune amélioration de la diversité du profil social des élus.
     Si l’on veut restaurer la confiance entre les citoyens et les élus, entre le peuple et ce qu’il est convenu d’appeler le monde politique, une profonde réforme de l’exercice du pouvoir local s’impose. Les réformes présentées par le gouvernement comportent des reculs, des réformes inutiles, et quelques avancées. Comme le relevait Edmond Hervé dans Ouest-France du 23 septembre et dans sa conférence du 27 septembre, « les réformes vont s’appliquer ». Il incombera aux élus de le faire, dans le cadre légal, mais, on l’espère, sans renoncer à des initiatives novatrices, de gouverner les assemblées locales avec sens de l’intérêt général et moins de considérations qui font s’éloigner nombre de citoyens de la vie politique locale et nationale. Certains acteurs de la vie politique locale, de toutes sortes d’appartenances politiques, trouveront sans doute ces propositions irréalistes mais nous rappelons qu’elles sont mises en oeuvre dans des collectivités locales de sensibilités diverses.