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Dossier
#09
Finalement, Nantes
et Rennes font équipe
RÉSUMÉ > Après plusieurs mois d’un poker menteur stérile, l’enseignement supérieur et la recherche publique des régions de Bretagne et des Pays de la Loire vont présenter un projet commun d’initiative d’excellence. Nantes et Rennes pressaient leurs universités d’aboutir. Des négociations ont été menées à bride abattue depuis la fin septembre. Le réalisme l’a emporté sur les états d’âme. Réponse en juillet.

     C’est fait! Les pôles régionaux de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) Ueb (Bretagne) et Unam (Pays de la Loire) déposent une candidature commune aux Initiatives d’excellence lancées dans le cadre du Grand emprunt. C’est une très bonne nouvelle car sept à dix pôles seulement seront choisis, sans doute en juillet, par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Sept à dix pôles qui se partageront les 7,7 milliards d’euros promis aux meilleurs projets scientifiques d’envergure internationale capables de rivaliser avec ceux des premières universités mondiales. En présentant isolément leurs candidatures, l’Ueb et l’Unam n’avaient aucune chance de les mener à terme. Faute de masse critique, elles auraient fait pâle figure auprès des pôles parisiens, marseillais, lyonnais, bordelais. Elle aurait ainsi renouvelé leur mésaventure de 2007- 2008 quand elles furent tardivement classées parmi les bénéficiaires du plan Campus, presque repêchées, de manière humiliante pensent certains.

     Changement de décor, cette fois. Malgré tiraillements et états d’âmes, la réponse est commune. Et elle a de l’allure. En outre, l’Ueb et l’Unam, aiguillonnées certes par la nécessité, montrent la voie d’une coopération efficace entre les régions de Bretagne et des Pays de la Loire et les villes de Rennes et de Nantes. Ce qui a été réussi par les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche doit l’être aussi – et beaucoup plus facilement – dans les autres domaines identifiés les 8 et 9 octobre 2009, par les deux métropoles et confirmés le 8 novembre 2010 par leur première conférence permanente: accessibilité et mobilité, culture, tourisme et attractivité internationale.
     Cinq points forts ont été mis en avant par l’Ueb et l’Unam pour nourrir leur Initiative d’excellence:
     - les mathématiques et les sciences et technologies de l’information et de la communication;
     - la mer ;
     - la biologie et la santé;
     - les matériaux;
     - l’agronomie.
     S’ajoutent à ces thématiques principales, deux thématiques transversales :
     - l’environnement (qui recoupe partiellement l’agronomie, la biologie-santé et la mer) ;
     - les sciences humaines et sociales qui recoupent partiellement l’axe « Mathématiques et STIC » (édition en ligne, usages et comportements).
     Ces points forts mettent en cohérence et en résonance des laboratoires d’excellence, des équipements d’excellence et des instituts parmi ceux auxquels l’Ueb et l’Unam se sont portées candidates par ailleurs (voir plus bas) et des bibliothèques, des écoles doctorales, des filières de formation, des réseaux, des relations internationales, des outils d’innovation, bref tout un environnement universitaire mais aussi économique, capable d’enrichir les idées et les travaux de chacun.

     La réponse commune des deux PRES n’est pas sortie du chapeau par un coup de baguette magique. Elle s’est préparée dans la douleur. L’accouchement a été difficile. En voici les raisons.
     Octobre 2009 : lors d’un colloque de deux jours, Nantes et Rennes manifestent leur volonté de compter en Europe et pour cela de coopérer, en particulier dans cinq domaines : les transports (ligne à grande vitesse Paris – Bretagne – Pays de la Loire, aéroport de Notre-Damedes- Landes, liaison ferroviaire rapide Nantes – Rennes), l’enseignement supérieur et la recherche, la culture, le tourisme et l’attractivité internationale.
     Sur ce chapitre de l’université, le souvenir était encore amer, moins à Rennes qu’à Nantes, de n’avoir pas été intégrés par le ministère de l’Enseignement supérieur dans la première vague du plan Campus. Aussi, l’enseignement supérieur et la recherche étaient-ils placés « au coeur de la collaboration entre les deux villes ». Reconnaissant que « d’autres territoires en Europe ont pris de l’avance », les deux villes affirmaient cependant que « Nantes et Rennes regroupent leurs forces pour atteindre la masse critique ».
     Le 1er mars 2010, à Rennes, les présidents des sept universités et des deux Conférences des grandes écoles de Bretagne et des Pays de la Loire décidaient de « mener une réflexion collective pour répondre aux appels à projets du Grand emprunt national » (les « investissements d’avenir ») et obtenir le label « campus d’excellence » (devenu depuis « initiatives d’excellence »). Ils mettaient en place un comité de coordination élargi aux grands organismes de recherche et aux pôles de compétitivité, et des groupes thématiques interrégionaux.
     Se plaçant d’emblée sur le terrain interrégional, les Conseils économiques, sociaux et environnementaux (Ceser) de Bretagne et des Pays de Loire ne semblaient pas convaincus au mois de mars que tout le monde jouait juste dans ce grand orchestre. « Pour être pleinement opérationnelle, insistaient les conseillers, cette démarche commune doit s’appuyer dès à présent sur un pilotage ferme et partagé du projet […]. Il est indispensable que les fleurons des différents établissements d’enseignement supérieur et de recherche des deux régions soient réunis dans une structure commune dotée d’une gouvernance offensive, indépendante et transparente, intégrant des experts scientifiques internationaux et les acteurs concernés par la recherche fondamentale et appliquée, et sa valorisation. Cette forte symbiose doit être présente dès la conception du projet, notamment sous la forme d’une assistance à maîtrise d’ouvrage unique et coordonnée avec l’ensemble du dispositif du grand emprunt. »
     Le Ceser de Bretagne insistait encore davantage trois mois plus tard (on était déjà en juin, et les échéances se rapprochaient…) en rappelant aux acteurs concernés la nécessité « d’associer les PRES à la démarche, de fédérer l’ensemble des acteurs autour du projet des initiatives d’excellence, de faciliter l’appropriation des enjeux et de la démarche par l’ensemble des acteurs économiques et sociaux concernés, de favoriser une gouvernance souple et transparente par un pilotage partagé, resserré et représentatif ».
     On avait donc des progrès à faire…

     Fait significatif : lors de sa conférence de presse de rentrée, le 1er septembre, le président de l’université Rennes 1, Guy Cathelineau, ne parlait de Nantes qu’en réponse à la question de Place Publique. Encore le fit-il d’une manière « minimaliste »: « Plutôt que de bâtir ensemble un seul projet, nous avons préféré regarder où se fait la science, où sont les laboratoires qui se distinguent. Quand il faut répondre très vite à un appel à projet, ce n’est plus le moment de recenser les synergies possibles. Il vaut mieux, d’un point de vue stratégique s’appuyer sur ce qui fonctionne déjà ». Et, parce que nous insistions : « Avec les Pays de la Loire, nous irons ensemble partout où des laboratoires ont besoin les uns des autres ». « Nous n’avons jamais été contre une réponse commune, dit aujourd’hui Guy Cathelineau, président de l’Ueb et de Rennes 1. Nous voulions une réponse rigoureuse qui tienne compte de nos forces réelles ».
     Le paysage régional de l’enseignement supérieur et de la recherche est, en effet, complexe, désordonné, parfois peu compréhensible. Amalgame de cultures différentes et d’intérêts divergents, empilement pas toujours rationnel d’organismes et de formations à visées diverses, il adresse à son environnement des messages contradictoires. Le travail en commun s’est donc révélé plus difficile que ne le laissaient penser les communiqués volontaristes d’octobre 2009.

Rennes-Nantes ou Bretagne-Pays de la Loire?

     Ce pour plusieurs raisons, d’inégale importance, qui se sont ajoutées, en parts variables, les unes aux autres :
     – Le découpage en tranches fines des appels à projets n’a favorisé ni l’intelligibilité des enjeux ni la recherche de complémentarités ; de plus, l’économie générale et les règles du programme « Investissements d’avenir » ont été définies tardivement.
     – Certaines grandes écoles, certains organismes de recherche, pourtant membres fondateurs des PRES UEB (Université européenne de Bretagne) et Unam (Universités Nantes – Angers – Le Mans), ou proches des universités, ont été d’abord portés à jouer les cartes de leurs réseaux nationaux plutôt que celles de leurs partenaires locaux ou régionaux;
     – Des débats plutôt rudes ont opposé ceux qui voulaient privilégier l’axe Rennes – Nantes aux partisans du couple Bretagne – Pays de la Loire. Le premier choix faisait peu de cas des tout jeunes PRES (UEB et Unam sont des pôles régionaux). Le deuxième choix commandait d’entraîner aussi l’UBO (Brest) et Angers, ce qui se justifiait aisément sur les axes de recherche par essence régionaux « Mer » et « Agro », mais aussi l’UBS (Lorient-Vannes) et LeMans, qui ont beaucoup moins à apporter dans la corbeille.
     – La région Bretagne a eu tendance – c’est d’abord son rôle… – à privilégier les établissements bretons et à regarder davantage vers Brest et Lorient-Vannes que vers Nantes. « Mais elle comprend aussi notre stratégie », admet-on à l’UEB qui reconnaît le « fort soutien » apporté par le conseil régional à l’enseignement supérieur et à la recherche.
     – La réponse à l’appel à projets Initiatives d’excellence (les « Idex », acronyme qui a remplacé la notion initiale de « campus d’excellence ») impose de sélectionner un ensemble cohérent de Laboratoires et Équipements d’excellence et autres IHU (Institut hospitalo-universitaire), IRT (Institut de recherche technologique) et Satt (Société d’aide au transfert technologique). En la matière, il semblerait que le PRES Unam ait été moins prêt que le PRES UEB à faire des sacrifices.
     – L’université Rennes 1 (sciences, philosophie, droit, sciences économiques, médecine et pharmacie) a été distinguée ces derniers mois dans plusieurs classements internationaux. Elle est située aujourd’hui, par celui de Shanghai, dans le « top 400 » des universités mondiales et à la 15e place ex æquo des établissements français (universités et grandes écoles). Première université du Grand Ouest, elle se place au même rang que l’École des Mines de Paris, que Nancy 1, Paris-Dauphine et Aix-Marseille 1. En mathématiques, elle se situe même entre la 51e et la 75e place mondiale. Ce qui équivaut à la 7e position en France, juste derrière l’École Polytechnique. Distinguée aussi, en chimie et en mathématiques par le Center for higher education development, basé en Allemagne, faisant donc la course en tête, Rennes 1 a pu s’agacer des prétentions d’établissements exclus des classements mais qui, rassemblés tardivement dans le PRES Unam, paraissaient tout à coup plus actifs et prêts à concourir pour un Institut hospitalo-universitaire ou pour un Institut de recherche technologique. Lors de l’inauguration des locaux du PRES Unam, le 10 septembre à Nantes, Christophe Clergeau, premier vice-président du conseil régional des Pays de la Loire y fit allusion en ces termes: « Nos amis bretons avaient comme image d’être plus unis, cohérents et resserrés que nous. Aujourd’hui les choses sont inversées. »
     – Tellement inversées que, dès le 5 juillet, Nantes Métropole avait semblé balancer la coopération aux orties et annoncé sur son site internet sa candidature solitaire à un Institut hospitalo-universitaire: « Le Centre hospitalier universitaire de Nantes, l’université de Nantes et Oniris, soutenus par Nantes Métropole, la région des Pays de la Loire et le PRES Unam, annoncent leur candidature pour la création d’un Institut hospitalo-universitaire (IHU) ». Aucune mention de la participation du CHU rennais avec lequel (comme avec celui d’Angers), il avait pourtant été prévu dès le 17 juin de nouer « des relations étroites ». « Ça n’a pas aidé », glisse le président de l’UEB…

     Entre naïvetés feintes et susceptibilités mal placées, querelles de marchands de tapis et négociations stratégiques, ces tiraillements auraient provoqué un certain agacement à la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale). Son directeur, Pierre Dartout, avait participé, en octobre 2009, à la première rencontre Nantes – Rennes. Très récemment, il a fait intervenir les deux préfets de région « pour alerter les présidents d’université sur le risque que ferait courir leur division », écrivait Dominique Luneau, directeur de l’Agence atlantique presse information (Api), le 21 novembre sur son blog. « L’État – c’est très clair – attend une réponse commune des deux régions », affirmait à la même époque un observateur.
     Début décembre, il restait encore quelques points à négocier. Mais on cavalait à bride abattue, les réunions se multipliant entre l’UEB et l’UBO (qui se sent un peu isolée), entre l’UEB et l’Unam, avec ou sans le Cnrs, avec les villes de Nantes et Rennes, avec les préfectures de région, avec le ministère. Les négociateurs avaient les traits tirés, comme après les marathons européens de Bruxelles. Mais, en même temps, ils semblaient soulagés. En trois mois, ils venaient d’abattre quelques frontières. « C’est parce que, dit un scientifique, nous les avions déjà largement franchies ».