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Dossier
#23
Connaître la langue,
un préalable légal
RÉSUMÉ > Pour habiter en France, les immigrés doivent depuis 2007 signer un contrat avec la République, dit Contrat d’accueil et d’intégration. En Ille-et-Vilaine, un millier d’étrangers y souscrivent chaque année. Certains d’entre eux (un tiers) sont dans l’obligation de suivre une formation linguistique afin de maîtriser un minimum de langue française, condition de leur intégration.

     « L’étranger admis pour la première fois au séjour en France ou qui entre régulièrement en France entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans, et qui souhaite s’y maintenir durablement, prépare son intégration républicaine dans la société française. À cette fin, il conclut avec l’État un contrat d’accueil et d’intégration, traduit dans une langue qu’il comprend, par lequel il s’oblige à suivre une formation civique et, lorsque le besoin en est établi, linguistique. […]. Lors du premier renouvellement de la carte de séjour, l’autorité administrative tient compte du non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l’étranger, des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration. » Loi du 29 décembre 2010.
     Les dernières réformes concernant la formation linguistique destinée aux adultes migrant-e-s s’inscrivent dans un contexte national et européen de durcissement des exigences en termes de connaissance des langues des pays d’accueil. Ces réformes font de la langue une condition pour le droit au séjour avec une attention particulière portée à la phase d’accueil.
     Outre son caractère obligatoire pour l’obtention de la nationalité française et le fait qu’elle soit subordonnée à toute demande de carte de résident de dix ans, la condition linguistique devient avec le Contrat d’accueil et d’intégration (CAI) et son volet linguistique un préalable à toute intention de séjour sur le territoire français.   

Le Contrat d’accueil et d’intégration

     Le CAI et son volet linguistique sont obligatoires en France depuis le 1er janvier 2007. Ce document individuel est signé entre l’État – représenté par le préfet ou la préfète – et toute personne étrangère (hors Union européenne) amenée à rester durablement sur le territoire français. Sa signature engage les contractant-e-s à participer à une journée d’information « Vivre en France », à une formation civique, à un bilan de compétences professionnelles obligatoire et selon certaines conditions à une formation linguistique.
     Parallèlement à ce CAI individuel, un Contrat d’accueil et d’intégration pour la famille (CAIF) est obligatoire depuis 2008. S’y ajoute depuis la même date un « pré- CAI ». Il prévoit, entre autres, si le besoin en est établi, une formation linguistique dans le pays d’origine des postulante- s à l’émigration et conditionne la délivrance du visa.

Qu’est que le « volet linguistique »?

     Dans le cadre de la prescription linguistique du CAI, le niveau de français à l’oral et à l’écrit est évalué lors d’une demi-journée d’information sur la vie en France au cours de laquelle est signé le contrat. Après une séance d’information collective autour du visionnage d’un film intitulé Vivre ensemble, en France1 et d’une présentation du CAI, les futur-e-s contactant-e-s participent à un entretien individuel qui a pour but, outre une présentation détaillée du Contrat et des formations, d’évaluer leur compétences linguistiques à l’oral et à l’écrit.
     À l’issue de ce test, en cas d’appréciation suffisante des compétences linguistiques, on délivre aux futur-e-s signataires une « Attestation ministérielle de dispense de formation linguistique ». Le cas échéant, selon le diagnostic, une formation linguistique obligatoire et gratuite d’une durée qui ne peut dépasser 400 heures est prescrite aux personnes auditionnées. Ces dernières sont alors dirigées, selon leur lieu de résidence, vers un organisme de formation. Cette formation s’effectue selon un rythme variable, selon les organismes de formation, selon la situation familiale et/ou professionnelle des stagiaires, etc. À l’issue de cette formation linguistique, une évaluation finale sanctionne les compétences linguistiques des stagiaires et les valide par un Diplôme initial de langue française (DILF) ou par un Diplôme d’étude en langue française (DELF).

En Ille-et-Vilaine, 44 % des CAI bretons

     Entre 2005 et 2009, 8 043 CAI ont été signés en Bretagne, dont près de 2 000 pour l’année 2009, ce qui représente environ 2 % du total des Contrats signés en France. La répartition par sexe corrobore les observations nationales, à savoir que la part des femmes augmente dans la population immigrée. En Ille-et-Vilaine, où le Contrat a été expérimenté dès 2004 avant de devenir obligatoire en France, le nombre de contractants ainsi que le nombre de prescriptions linguistiques sont en constante augmentation. Ce département compte aussi le plus grand nombre de Contrats signés en Bretagne, avec 850 signatures en 2009, soit 44,78% des CAI bretons. Chiffres corrélés à la répartition départementale des immigré- e-s dans la région. D’où viennent les signataires ? Majoritairement originaires du Maroc (14,96 %) et de Turquie (12,64 %). Le Maroc, l’Algérie (8 %) et la Tunisie (5,16 %) totalisent à eux trois 28,13 % des signataires.
     Enfin, parmi les 1 898 signataires du CAI en Bretagne, une majorité (46,15 %) ont été admis-e-s au séjour au titre de conjoint de français, dont 62,21 % sont des conjointes de Français.

     Ces statistiques confirment notamment une diminution du nombre de visas délivrés au titre du regroupement familial ces dernières années (avec une diminution de 16,6 % entre 2006 et 20102), conséquence de l’allongement du délai permettant de solliciter le regroupement familial – passé de 12 mois à 18 mois – et suite au remaniement des conditions minimales en termes de revenus et de logement nécessaires pour l’admission au séjour en France.
    De même, l’immigration familiale concerne aujourd’hui davantage les membres de famille de Français que les membres de famille d’étrangèr-e-s. Enfin, l’immigration professionnelle bénéficie de davantage de soutien que l’immigration familiale, même si les premiers titres de séjour en France restent pour majorité délivrés pour justification familiale.

La formation linguistique, une priorité en Bretagne

     Pour la mise en place du Contrat, la politique d’intégration des populations immigrées s’accompagne en région Bretagne d’un intérêt affiché pour la formation linguistique. En attestent en l’Ille-et-Vilaine, les priorités d’actions inscrites dans le Plan départemental d’intégration (PDI 35) et dans le Programme régional d’intégration des populations immigrées (PRIPI Bretagne 2010-2012). L’apprentissage de la langue arrive en tête des priorités retenues. Pour la langue, trois domaines d’action sont ciblés en Ille-et-Vilaine: 1. Le premier accueil et l’intégration des étrangers et de leurs familles, notamment par la mise en place du Contrat et de son volet linguistique, 2. L’apprentissage de la langue française, à travers des formations destinées à des publics hors-CAI durant leur cinq premières années de résidence en France et enfin, 3. le projet d’intégration des étrangers dans les ateliers sociolinguistiques (ASL), notamment par la mise en place en 2009 et 2010 à Rennes métropole, d’une plate-forme d’orientation de la demande d’apprentissage linguistique.
     Reste que 68,86 % signataires du contrat ont été dispensés de la prescription linguistique, à peu près moitié hommes moitié femmes. En revanche, parmi les 591 signataires non-dispensé-e-s de la formation linguistique, 68,7 % sont des femmes.

     Les migrations ont longtemps été analysées comme un phénomène majoritairement masculin, car la plupart des travaux de recherche abordaient cette thématique surtout à partir de l’angle du travail. Les immigrés étaient souvent considérés comme des travailleurs hommes, la présence des femmes immigrées étant quant à elle limitée à la sphère familiale et privée, donc occultées au niveau de l’espace public.
     Mais depuis quelques années, on constate un essor des travaux de recherche faisant le lien entre le genre et les migrations. Ils montrent à quel point les femmes ont été « invisibilisées » dans les études sur les migrations. Si l’on étudie les formes d’exploitation subies dans un contexte mondial de forte concurrence, caractérisé par une flexibilisation-précarisation de l’emploi et du travail (CDD, sous-emploi, sous-traitance, etc.) on voit que le phénomène touche en majorité les femmes et d’autant plus lorsqu’elles sont étrangères.

     L’utilisation du concept de genre issu de l’anglais « gender » est de plus en plus en répandue, en même temps qu’il est au coeur de nombreux débats actuels. Le genre permet de déconstruire l’évidence des catégories de sexe pour montrer qu’elles ne sont pas « naturelles » mais construites socialement. Militant-e-s et chercheur-e-s tentent de comprendre et de déconstruire le genre. En témoigne la multiplication des recherches qui lui sont consacrées, notamment à l’université Rennes 2, et l’engagement féministe à Rennes auquel Place Publique a consacré son dernier numéro (n° 22: « Femmes et féminismes à Rennes »). Le genre est aujourd’hui un outil incontournable d’analyse des rapports de pouvoir et de lutte contre les discriminations qui permet d’explorer des problématiques selon un angle innovant.

     En tant qu’instrument de mise en visibilité des femmes et de leur minoration dans l’immigration, le genre est d’autant plus approprié que l’on assiste depuis plusieurs années à une profusion de discours et d’actions de promotion de l’égalité. Celle-ci est prioritairement exprimée, dans le cadre de l’immigration, sous l’angle de l’égalité des sexes, comme l’illustre la définition qui en est donnée dans le contrat que sont amené-e-s à signer les futur- e-s contractant-e-s du CAI.
     Dans le paragraphe intitulé « La France, un pays d’égalité », en amont du paragraphe « Connaître le français, une nécessité » qui définit l’apprentissage du français comme « fondement de l’unité nationale », l’égalité est présentée comme un principe fondamental de la société française. Paradoxalement, cette égalité est prônée, dans un contexte de mise en place du CAI et de son volet linguistique entre autre caractérisé par une mise en opposition de l’immigration familiale et de l’immigration de travail.
     Nous retrouvons cette dissonance entre l’évidence égalitaire voire émancipatrice du volet linguistique du CAI et les diverses expériences vécu-e-s par les signataires- stagiaires du CAI. En effet, nos enquêtes réalisées à Rennes dans le cadre de la prescription linguistique du Contrat ont montré que le genre et ce dispositif se confortent en même temps. En somme, le genre influe sur ce volet linguistique du CAI, en même temps que ce dernier influe sur le genre.

     Le volet linguistique du CAI a des effets sur le genre à travers l’organisation même des cours de formations : cours en journée pour les stagiaires sans emploi, généralement des femmes, et cours du soir ceux bénéficiant d’un emploi, généralement des hommes. À la lumière des liens tissés entre les enseignant-e-s et les stagiaires, mais aussi à travers le contenu des formations comme l’illustre l’exemple suivant.
     Lors d’un cours de français une formatrice propose un exercice d’entraînement au Diplôme initial de langue française. La consigne de l’exercice est de laisser un message simple et écrit à son conjoint. Face à des signes d’incompréhension exprimés par certain-e-s stagiaires par rapport au mot conjoint, la formatrice le définit et dit : « le mari ou la femme […] mais ça peut être sans être mariés […] la personne avec laquelle vous vivez […] vous dormez sous le même toit. » Une stagiaire dit : « Oh. Maman? » La formatrice répond: « non, pour vous – en la désignant – votre mari et pour vous – en désignant un stagiaire – votre femme. » Elle ébauche ensuite au tableau un dessin qui présente un modèle de foyer domestique et de famille nucléaire. Cette image pose question dans le contexte du CAI car ce modèle n’est pas universel.
     Cet exemple permet aussi de mesurer à quel point l’hétérosexualité demeure une puissante institution sociale. Cette dernière est soutenue par les politiques et dispositifs sociaux, éducatifs, linguistiques, migratoires, etc., dont le CAI et son volet linguistique. Ce dernier joue un rôle important dans la circulation des personnes, dans les migrations, mais aussi dans l’organisation des alliances, de la filiation, etc. et participe ainsi à forme de réactualisation du genre.
     Outre, une meilleure compréhension des processus migratoires, une telle démarche permet de saisir comment les migrations participent à ré-actualiser le genre (besoin de main-d’oeuvre, modalité de sélection des candidat- e-s à l’immigration, etc.) et simultanément comment le genre influe sur les migrations (qui émigre? pour quelles raisons ? comment ?).
     Ces recherches qui associent genre et migrations s’insèrent aussi dans un vaste travail entrepris par des actrices- acteurs militant-e-s, chercheur-e-s, associatif-ve-s et politiques sur le territoire breton. Au-delà de la juste reconnaissance du statut des femmes dans l’immigration, ce travail a pour but de veiller à ce que l’égalité proclamée de droit, en tant qu’idéal, ne soit pas l’occasion de masquer les inégalités de fait et les revendications sociales qui leur sont liées.