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Dossier
#22
« Brocéliande » accueille les femmes victimes de violence
RÉSUMÉ > L’Asfad, association pour les familles en difficulté, connue aussi à Rennes sous l’appellation « Foyer Brocéliande », héberge et accompagne depuis trois décennies des femmes qui subissent des violences. Rencontre avec des responsables de l’association et témoignage de deux femmes accueillies.

I – Ce qu’est l’Asfad 

     1969 : Création de l’Association des femmes chefs de Famille (Afcf) dans laquelle se regroupent des militantes pour venir en aide aux femmes divorcées ou séparées. En 1977, cette équipe de bénévoles obtient l’agrément pour la création d’un Centre d’hébergement et de réadaptation sociale (Chrs) de 140 places destiné à protéger, héberger, réinsérer des femmes avec enfants sans limite d’âge, confrontées aux difficultés conjugales avec ouverture 24 heures sur 24. Suit une période de fort développement de services complémentaires avec des salariés professionnels qui prennent le relais des bénévoles.
    1983 : L’Afcf se retire au profit d’une nouvelle association s’intitulant Association pour les familles en difficultés (Asfad), dont les statuts permettent d’accueillir aussi bien des femmes que des hommes avec enfants ou des familles en reconstitution de couple. En 2001, une nouvelle appellation sera choisie: « Association pour l’action sociale et la formation à l’autonomie et au devenir » (Asfad) qui a pour but « d’accueillir, protéger toute personne en situation de vulnérabilité, prioritairement les femmes vivant des violences au sein du couple ou du fait de multiples formes d’exclusion sociale. ». Et aussi de « promouvoir et de mettre en oeuvre toutes actions nécessaires à la démarche d’accueil et d’insertion ».
     Aujourd’hui :
• 225 places d’hébergement pour • des femmes ou des familles confrontées à des difficultés sociales, femmes victimes de violences, soit dans une des deux résidences de l’association, soit dans des appartements indépendants réservés auprès des offices publics d’Hlm avec un accompagnement adapté aux besoins des personnes.
• Un centre maternel accueillant 25 jeunes mères de famille majeures avec enfants de moins de 3 ans, nécessitant parfois une « mise à l’abri » et toujours une aide à la fonction parentale.
• Une crèche à financement municipal accueillant 45 enfants de moins de 3 ans, insérée dans le quartier, avec des places ouvertes aux entreprises et administrations de la zone géographique.
• Des activités d’accompagnement individualisé, crées depuis la naissance de l’association pour prendre en charge l’insertion sociale et professionnelle.
• Un chantier d’insertion dans les domaines du déménagement et du nettoyage.

 

     Madame T., 34 ans, formation études de lettres, infirmière, témoigne d’une situation de violences vécue en couple sans enfant.
     « Relisant mon histoire, je suis très consciente que cette situation de violence en couple ne m’est pas arrivée par hasard. Avant la rencontre de mon compagnon, je vivais déjà dans une forte instabilité qui se traduisait au plan professionnel par une peur de m’engager dans un CDI. Il n’est pas question pour moi de faire porter sur mon conjoint toute la responsabilité de ce qui s’est passé dans notre couple.
     Je n’aime pas dire que j’ai subi des violences. Je préfère dire que j’ai vécu une situation de violences d’abord psychologiques puis également physiques où la force masculine m’a mise nettement en position d’infériorité. Au début, bien sûr, mes amis me disent qu’ils ne comprennent pas que je puisse rester avec quelqu’un qui me frappe mais moi, j’ai l’impression que tout est inversé dans ma vie. Je suis dans un cercle vicieux. J’ai honte et je m’isole. Je subis des menaces mais j’ai aussi peur de moi-même et peur de tout.
     J’ai vécu plusieurs mois de difficultés importantes et un long temps de dépression. Un jour, en cherchant sur Internet, je trouve le numéro de l’Asfad et je prends un rendez- vous avec Mme Nathalie Erussard, psychologue, sans y croire vraiment. Mon souvenir du premier entretien, c’est d’avoir trouvé le courage de prendre une décision toute simple: demander un arrêt de travail à mon médecin. Prendre une initiative m’a donné un certain confort intérieur et faire ce petit pas pour régler mes soucis matériels immédiats de revenu, de logement, m’a aidée.
     Progressivement, grâce des rencontres régulières, j’ai accepté d’entrer dans l’échange sur mon passé et notamment sur ma place dans mon groupe familial. J’ai l’impression d’avoir pu regarder mon enfance et ma jeunesse avec un regard neuf et distancié. Sans livrer des aspects intimes de ma vie, je fais aujourd’hui l’analyse que j’ai vécu dans une famille normale où il y avait un amour fort qui demeure mais j’ai sans doute trop voulu selon l’expression précise qui m’est revenue: « être le soleil de tous ». L’angoisse de ne pas arriver à ce que toute la famille attendait de moi a été trop forte.
     Aujourd’hui, je suis toujours en recherche mais j’ai grandi. J’arrive à exprimer une difficulté, par exemple à dire que j’ai un moment de cafard, sans que cela prenne des proportions dramatiques. Surtout, je me sens plus stable dans ma vie. Mes choix de vie - aujourd’hui celui de rechercher de nouveau à vivre en couple et à avoir un enfant- je suis en capacité de mieux les assumer moimême.
     Ce que j’ai envie de souligner, c’est l’importance d’avoir à un moment le courage de demander de l’aide, de ne pas fuir et ensuite de ne pas lâcher. J’ai pris conscience aussi que la violence, sous des formes différentes, nous la retrouvons dans beaucoup de relations humaines, et pas seulement dans la vie en couple. J’ai l’impression que j’ai en partie apprivoisé la violence dans ma vie en apprenant à mieux communiquer. Enfin, mon expérience personnelle est d’avoir été aidée par la pratique de la méditation bouddhiste, en disant bien qu’il n’y a aucune solution toute prête, valable pour tous. »

     Madame S., arrivée en janvier 2010 avec ses deux filles
     (Situation présentée dans le rapport d’activité 2011 de L’Asfad-Chrs)
     Madame S. est accueillie pour être protégée d’un mari psychologiquement violent et de mises à la porte régulières du domicile avec ses enfants. À son arrivée, elle est épuisée et « cassée ». Elle souhaite être aidée, se reconstruire, protéger ses enfants. La famille est hébergée au Centre d’hébergement et d’insertion sociale (Chrs) de l’Asfad. Rapidement Madame S. rencontre un nouveau compagnon qui se révèle extrêmement violent. L’emprise de cette personne sur elle est immédiate. Les violences physiques et psychologiques sont très graves.Madame S. énonce clairement ses difficultés à se séparer de ces deux compagnons très violents et à protéger ses enfants.
     Dans l’urgence, le placement de sa fille aînée est prononcé en mai 2011 suivi de celui de la cadette en juin 2011. D’accord avec la décision du juge, Madame S. dit toutefois sa souffrance d’être séparée de ses filles mais également son impuissance à s’en occuper. Sa santé psychique et physique déjà très fragilisées, se dégrade. Les tentatives de suicide sont nombreuses, toujours en lien avec les démarches d’emprise de son nouveau compagnon. Après un long travail d’accompagnement éducatif, elle accepte de rencontrer l’infirmier psychiatrique de l’antenne mobile du centre Guillaume Régnier.
     Sur le plan professionnel, elle continue de travailler à temps partiel comme aide à domicile avec un contrat de onze heures par semaine. Au Chrs Brocéliande, elle dit « être de passage » et ne pouvoir s’investir. Mais en même temps, elle dit s’y sentir protégée. Elle a des difficultés à se projeter dans un logement. Elle n’envisage pas la reprise d’une vie de couple avec son mari mais ne peut vivre totalement séparée de lui, malgré la procédure de divorce en cours. Elle ne peut pas, non plus, se séparer de son nouveau compagnon, incarcéré pour les actes graves portés à son encontre, et continue de s’exposer régulièrement à cette violence conjugale, qui pourrait s’avérer fatale.
     Madame S. est dans une forme de renoncement. Elle ne demande plus d’aide. Sa souffrance est déniée, déconnectée de son vécu. Elle dit ne plus rien ressentir des coups portés, des douleurs physiques vécues mais être détruite par l’absence d’un regard. Un important travail de proximité mené par l’équipe éducative tente de restaurer une image et une estime de soi très dégradées. Le cheminement reste très long et pose le problème de financements sur longue durée.

     Les violences vécues par les femmes sont très graves et intolérables. Les statistiques donnent le chiffre d’une femme sur dix dans notre pays. Les campagnes de communication lancées depuis l’année 2000 qui ont permis de sortir de l’omertà, doivent être poursuivies et développées. Des contacts sont pris notamment avec l’Espagne où des campagnes d’information très fortes ont été conduites. Pour autant, l’approche de la violence conjugale uniquement par le genre (féminin ou masculin) apparaît trop limitée. L’expérience de l’Asfad montre le besoin d’une approche systémique au niveau de la famille. Dès le départ, l’association s’est organisée pour un accueil à la fois des femmes et des enfants. Les femmes elles-mêmes disent l’importance que revêt à leurs yeux l’offre d’écoute qui est faite à leur conjoint. Un service appelé « Dyade » avait été mis en place à l’Asfad permettant d’accompagner aussi les hommes « auteurs » de violence. Ce service vient d’être supprimé pour des raisons budgétaires mais le besoin demeure.
     Il y a aujourd’hui de nouvelles configurations de ces violences et les femmes connaissent, elles aussi, l’errance et la rue. La crise économique et la précarité exigent de traiter impérativement l’insertion professionnelle en même temps que l’insertion sociale et la diversité de cultures d’origine des familles accompagnées, notamment concernant les rapports hommes-femmes, nécessite des prises en charge adaptées.

2. Les mesures législatives suffisent-elles?

     Le président de la République a annoncé le 25 novembre un « plan global » pour les femmes victimes de violence, répondant à la demande de plusieurs associations féministes qui souhaitent « une loi cadre qui comble les lacunes parfaitement identifiées des lois précédentes et ne laisse de côté aucun aspect des violences ».
     Un point important fut la reconnaissance officielle des « violences psychologiques » dans la loi de 2010 portée par Danielle Bousquet, députée des Côtes-d’Armor. Cette inscription dans la loi a été décisive pour montrer à l’opinion « que les photos de cocards sur le visage ne représentent qu’une partie des violences conjugales et que les mots font parfois plus mal que les coups ». En revanche, l’application de cette loi n’est pas simple: difficile d’apporter la preuve des violences psychologiques. Il faut une longue démarche d’accompagnement pour qu’une femme s’autorise à parler de ce qu’elle vit ou se décide à déposer plainte.

     Les violences conjugales concernent tous les milieux sociaux et toutes les catégories professionnelles. Une même personne peut, par exemple, avoir une responsabilité importante d’encadrement dans une entreprise et se trouver sous emprise dans sa vie familiale. Pour autant, les violences en couple exigent une réflexion plus globale sur la violence sociétale. Les violences conjugales ont à voir avec notre fonctionnement social qui provoque des tensions importantes pour beaucoup dans les différents domaines de la vie et dans le vivre ensemble. La question se pose de savoir comment réaliser des avancées collectives? Les responsables de l’Asfad citent : tout ce qui va, dès le plus jeune âge, dans le sens d’une éducation à la communication non-violente, de l’apprentissage de l’échange et de la prise de parole en famille. Au travail, devrait aussi se traduire par un management respectueux de chacun. De manière générale, toutes les actions favorisant un meilleur fonctionnement social collaboratif, démocratique, vont dans le bon sens.
     L’analyse actuelle et locale des violences conjugales met aussi crûment en évidence les pertes de repères générées par les évolutions sociales très rapides. Ces évolutions affectent le rapport à l’autre et l’altérité en général entraînant pour les personnes fragiles une difficulté à se construire sur leurs propres valeurs. Une des ambitions de l’Asfad, avec ses nombreux partenaires, est de devenir un « collectif intégrateur » dont la nécessité se fait largement ressentir aujourd’hui. Tout cela affecte le rapport à l’autre et l’altérité en général. Pour les personnes fragiles, cela rend d’autant plus difficile de se construire sur ses propres valeurs. Une association comme l’Asfad a l’ambition, avec de multiples partenaires, de devenir ce « collectif intégrateur » dont la nécessité se fait largement ressentir aujourd’hui.