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Histoire & Patrimoine
#02
Au temps de la faculté de folklore et des sciences hilares
RÉSUMÉ > En ce temps-là un recteur d’académie appelait les étudiants à participer à la manifestation. Des gendarmes à moto précédaient les cortèges qui parcouraient sous les applaudissements, les rues de Rennes depuis l’Alma, la gare, les quais, le boulevard de Metz et la rue de Fougères jusqu’aux Champs Blancs et Cesson. Le directeurfondateur de la manifestation était le futur ministre Louis Le Pensec. Alors étudiant à Rennes, il y créa la fameuse faculté de folklore et des sciences hilares. Il a raconté ses « exploits » dans un livre aujourd’hui épuisé (Ministre à bâbord) paru en 1997 aux éditions Ouest-France. Il a éclaté de rire quand Place Publique lui a demandé l’autorisation d’en reproduire un chapitre.

     « Dites-moi, vous ne m'aviez pas tout dit. Ainsi ai-je appris que lorsque vous étiez à l'université vous faisiez descendre tous les étudiants de Rennes dans la rue. On m'a raconté quelques-uns de vous hauts faits. J'ai été surpris que vous ne m'en ayez jamais parlé. Comment s'appelait déjà cette faculté qui défrayait la chronique? » Dans l'avion du Glam entre Quimper et Paris, François Mitterrand m'interpella ainsi.
     Il avait vraiment l'humeur badine à l'issue de l'inauguration de la mairie de Concarneau. Il avait fait pleinement honneur au plat d'huîtres, de magnifiques belons, préparées par Gilbert Le Bris, le maire, en son bureau. L'accueil de la communauté portuaire venue, dans sa diversité, lui parler d'une même voix l'avait favorablement impressionné. Peu pressé de regagner Paris, il s'installa dans l'avion pour la conversation avec son seul invité.
     « Je vois bien que vous ne voulez pas me parler de cette faculté, hein? » Le Président avait bien saisi que je n'évoquais pas spontanément ce qui fut un épisode un peu primesautier de ma vie étudiante. Il me laissa néanmoins narrer ce qu'avaient été mes engagements au sein de l'Unef contre la guerre d'Algérie, mon adhésion aux comités de la paix Je lui exposai aussi que la transition du syndicalisme à l'engagement politique s'était faite chez moi tout naturellement. Je compris à sa moue qu'il fallait en venir à ce qui, en cet instant, devait retenir l'attention. Je me mis donc à lui conter cette histoire.
     Il était une fois à Rennes, au début des années soixante, des étudiants qui estimaient que leur vie était tout de même un peu grise. La grande majorité d'entre eux, repliés sur leurs études, ne connaissaient que l'itinéraire de la chambre à l'amphithéâtre et au restaurant universitaire. Un devoir d'animation s'imposait. Les étudiants devaient renouer avec la tradition du canular que cette ville avait connue lors des cavalcades d'antan. Avec Alain Dupont et Henri Jidouard, je pris la décision de fonder aux côtés des autres facultés la « faculté de folklore et des sciences hilares ».
     Il y eut l'inévitable et solennelle pose de la première pierre de la dite faculté sur la place du Champs-de-Mars. On y devenait professeur en soutenant une thèse en public. Ainsi celle soutenue avec brio par Henri Jidouard donna la clé du mouvement des marées. On apprit enfin que c'étaient les requins qui, se couchant sur les éponges, étaient à l'origine du flux et du reflux. Un auditeur perspicace, lors de la soutenance, objecta qu'au Mont-Saint- Michel où de mémoire de marin on n'avait jamais vu d'éponges il y avait néanmoins des marées. L'éminent professeur, imperturbable, fit remarquer, ce que personne ne contesta d'ailleurs, qu'au Mont-Saint-Michel il n'y avait pas non plus de requins. Henri Jidouard devint ainsi professeur en Rire spécial complémentaire.
     Jean Larousse, devenu plus tard un grand nom de la recherche industrielle, révéla les résultats de ses travaux sur les rats, thèse qui lui valut le titre de professeur en Rire général et général approfondi et une notoriété justifiée puisqu'elle fut publiée dans le premier des journaux au monde par ordre alphabétique: l'A, l'organe de presse des étudiants de Rennes. De la somme de ses révélations sur ces rongeurs, on retint ce postulat: « A rat qui rit, souris sourira… » Raymond Devos, qui nous semblait incarner le mieux à l'époque l'esprit burlesque, accepta d'être parrain de notre faculté et vint à Rennes authentifier ce patronage.

     Les multiples initiatives de la faculté rencontraient la faveur croissante d'un public dont nous ne pouvions décevoir les attentes. L'idée me vint de lancer une course humoristique qui se déroulerait sur les cinq kilomètres de Rennes à Cesson selon tout moyen à la convenance de chacun: moto, auto, cheval, patins à roulettes. L'épreuve serait ouverte à tous les étudiants des universités de l'Ouest. Les encouragements reçus dès la première édition m'incitèrent à l'audace. Au fil des années le nombre des participants et des spectateurs gonfla.
     En 1961, Rennes-Cesson-Rennes devint une véritable institution. Le recteur d'académie me reçut officiellement avant l'épreuve et publia une invitation aux étudiants à y participer. La gendarmerie mit à ma disposition un détachement de gendarmes motorisés sans que j'eusse à préciser ce que serait leur vraie mission.
     Le monde étudiant et la population furent conviés un dimanche de mars à coups de pleines pages du journal Ouest-France à se masser devant la gare pour accueillir une haute personnalité. De fait, un général deux étoiles en uniforme kaki fit son apparition sous les vivats de la foule. Je l'invitai à prendre place dans la Jeep escortée par les motards de la gendarmerie. Il descendit l'avenue Janvier avant de s'adresser aux vingt mille spectateurs massés sur le Champ-de-Mars. Son message se voulait clair. « Le dialogue ne reprendra à Cesson que quand vous aurez déposé vos vélos. »
     C'est donc une foule en délire qui s'ébranla derrière la Jeep du général et son escorte motorisée en direction de Cesson où le maire, ceint de son écharpe, accueillit le général, le doyen de la faculté de folklore ainsi que le président des étudiants, Charles Josselin.
     Le retour sur Rennes de la joyeuse caravane confinait à l'épopée… Quand la Jeep du général fit son entrée au vélodrome, les milliers de spectateurs se levèrent spontanément.
     La télévision passa en édition nationale les images de cette manifestation et de notre illustre hôte, enrichies d'un commentaire de Robert Chapatte. Avais-je, dans le climat de l'époque marquée par la guerre d'Algérie, franchi la ligne jaune? Je fus convoqué chez le préfet de Région Stirn qui me signifia qu'à l'avenir je devais m'interdire, dans les activités de la faculté, toute référence à des personnages publics existants. « Vous voyez de qui je veux parler », me dit-il.
     À ce stade de mon récit, l'avion présidentiel se mit en approche de Villacoublay. François Mitterrand, qui avait attentivement écouté ma narration, partit d'un rire franc. « Mais alors, le général de Gaulle, ce n'était pas vous ?
     – Monsieur le Président, je vous devais la vérité historique, au risque de décevoir. Mais n'est pas de Gaulle qui veut… »