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Contributions
#08
Après l’exposition
« Mali au féminin »
RÉSUMÉ > Le musée de Bretagne, à travers Mali au féminin (une exposition, un livre-DVD et de nombreux films et conférences), a choisi une approche atypique du Mali contemporain centrée sur les initiatives prises par des femmes. Depuis 1985, la ville de Rennes est engagée dans une coopération avec ce pays d’Afrique et de nombreuses associations du territoire rennais ont noué des collaborations solides avec le Pays Dogon. Le dialogue approfondi entre les deux cultures peut renforcer et développer les actions menées en partenariat.

     Dès l’entrée de l’exposition présentée jusqu’au 3 octobre par le musée de Bretagne, aux Champs Libres, le visiteur était accueilli par des photographies de Maliennes d’aujourd’hui et vite plongé dans la chaude ambiance des couleurs jaunes, rouges et ocres des murs de terre des villages du Pays Dogon ou encore le bleu-vert des rues de Bamako, dans les conversations bruyantes et joyeuses, la richesse des tissus, la vie quotidienne dans les cours et les marchés.

     Françoise Berretrot, conservatrice au musée de Bretagne et commissaire de cette exposition, explique que « le Musée de Bretagne se veut à la fois musée d’histoire et de société, se refusant à opposer comme on le fait trop souvent un Mali traditionnel à un Mali de la modernité, mais cherchant à refléter un mouvement, celui d’un pays en pleine mutation, les dimensions historiques et anthropologiques étant indissociables ».

      Tout au long du parcours, chacun a pu s’immerger dans le quotidien de la vie malienne et s’y sentir bien. Cinq films documentaires de 13 minutes décrivaient sobrement des situations: la société civile avec l’engagement politique des femmes, le rôle des griottes, les groupements de femmes dans la transformation des produits agricoles, les solutions d’épargne et de crédit observées à travers les tontines ou le microcrédit, la santé à travers le rôle des matrones et des accoucheuses traditionnelles.

      « Les propos recueillis n’étaient pas neutres, précise Françoise Berretrot, mais nous proposions une convergence de regards pour favoriser l’écoute et le questionnement. Nous aurons atteint notre objectif si nous avons fait avancer le respect d’autrui, la compréhension de la façon dont l’autre fonctionne, si nous avons participé au combat contre certains stéréotypes, positifs ou négatifs, et à la prise de conscience de certains jeux de rôles stériles dans lesquels nous sommes parfois enfermés aussi bien en France qu’en Afrique, si nous avons vaincu certaines peurs que nous avons les uns des autres ».  

Pourquoi s’intéresser à l’Afrique?

     Une importante programmation culturelle organisée par le musée de Bretagne a accompagné l’exposition pendant sept mois avec des initiatives dans les communes, des visites d’acteurs maliens, de nombreux films et conférences aux Champs Libres. Le samedi 12 juin notamment, une conférence-débat sur le thème: Pourquoi s’intéresser à l’Afrique ? a mis en présence Edmond Hervé qui, en tant que maire de Rennes de 1977 à 2008, a été un artisan majeur de la coopération avec le Mali et Alain Marie, anthropologue, auteur de l’ouvrage La coopération décentralisée et ses paradoxes, pour réfléchir au sens à donner aujourd’hui à l’engagement international, à un moment où la crise économique provoque des replis et un recentrage sur les préoccupations de proximité.
     Edmond Hervé a insisté sur le terreau très favorable à Rennes pour ce type d’actions altruistes, de fraternité, tant au niveau associatif qu’à l’université, à l’Inra, dans les syndicats et dans le monde politique. C’est, dit-il, « le dialogue installé dans la durée, y compris entre des jeunes, qui nous garantit des déviations et permet les ajustements… Et nous n’oublions jamais que toutes les six secondes un enfant meurt de faim dans le monde. » Alain Marie a relevé certains pièges déjà bien illustrés dans le film de Christian Lallier Nioro du Sahel projeté aussi aux Champs libres au mois de mars. Nioro est une ville du Mali sans électricité. Un groupe d’électriciens français se propose d’y réaliser l’électrification à partir du constat: « Vous avez un besoin, nous vous apportons la ressource », mais au-delà de l’apport des câbles et des poteaux, le projet déclenche rapidement de profondes tensions sur l’organisation d’ensemble de la ville.
     La coopération entre le Nord et le Sud demeure plus que jamais indispensable mais ses militants savent qu’elle exige vraie écoute et analyse des besoins, générosité mais aussi réflexion, prise de recul et volonté de dépasser les démarches de don pour s’engager dans des actions d’apports réciproques.

En direct, quatre Maliens rencontrés au pays

La parole livrée dans la confiance d’un rapport humain peut éclairer et compléter certains aspects de l’exposition.

Bintou Sanankoua, historienne, à Bamako

     « Au Mali, les trois quarts des femmes résident en zone rurale; elles représentent la moitié des 14,5 millions d’habitants du pays ; leur taux d’alphabétisation est de 18,2 %; 84,9 % travaillent dans le secteur informel; selon l’expression courante, « elles se débrouillent » ».
     « La législation actuelle du Mali comporte de nombreuses dispositions discriminatoires à l’égard des femmes et, sous la pression des islamistes, le président n’a pas osé promulguer le nouveau code des personnes et de la famille… Les Maliennes ont perdu une bataille, pas la guerre du code » (interview extraite du livre- DVD accompagnant l’exposition).
     « Je porte un jugement très sévère sur la colonisation française qui a détruit notre culture et a imposé la langue française dans nos écoles. Globalement, la France aujourd’hui encore n’aide pas vraiment notre pays à se développer; il y a les bonnes paroles d’un côté et de l’autre le refus des visas. La présence des Chinois au Mali me semble beaucoup plus utile et efficace; en ce moment par exemple, les habitants de Bamako apprécient fortement la construction du grand échangeur sur le Niger que les Chinois sont en train de terminer et qui va vraiment changer la circulation en ville. »

Fifi Tembely, directrice de l’association YA G TU, à Bandiagara

     « YA G TU est une ONG dont l’appellation en Dogon signifie « association pour la promotion de la femme ». Elle a été créée en 1997 par un groupe de femmes rurales et urbaines qui ont décidé de se regrouper. J’ai moi-même une formation en agronomie et j’ai voulu faire profiter de ce que j’ai appris mes soeurs maliennes que je vois faire des kilomètres chaque jour avec leur lourd panier de légumes et de condiments sur la tête. »
     « L’association a créé plusieurs activités qui apportent un revenu aux femmes qui y participent : production d’échalotes, de pommes de terre, élevage, fabrication de savon et de farine pour les nourrissons. »
     « Malgré nos moyens modestes et grâce à l’aide de nos partenaires notamment rennais, nous travaillons avec 200 villages pour la promotion et l’amélioration de la santé des femmes. Au début, nous n’osions pas parler aux femmes de sujets comme la limitation des naissances. Aujourd’hui nous pouvons aborder tous les sujets en partant de la santé: vous pouvez lire la grande affiche contre l’excision (encore très pratiquée ici au Mali) qui tapisse la porte de mon bureau et ma collègue vous a fait voir les « boites à images » que nous utilisons pour donner aux femmes toutes les explications les plus concrètes sur le fonctionnement de leur corps. »
     « Je me refuse à opposer tradition et modernité. Je suis musulmane et je montre aux imams que l’excision n’est pas demandée par le Coran; j’échange avec les exciseuses, avec les vieilles femmes qui ont du mal à comprendre; j’essaie de convaincre tout le monde qu’il y a des choses qu’il faut changer parce qu’elles nuisent à la santé des femmes et que la tradition doit être adaptée quand elle nuit au développement. Nous avons déposé un projet de loi à l’assemblée nationale reprenant nos propositions et dans l’attente de son adoption, nous signons des accords avec des communes notamment pour interdire l’excision. »

Hassanah Togo, gardien des locaux de l’association de la maison de la coopération Rennes – Plateau Dogon, à Bandiagara

     « Je travaille sous la direction de David Tembely, coordinateur de l’AJCRPD (association de jumelage – coopération Rennes Plateau Dogon). Avant d’occuper cet emploi, je travaillais dans la restauration. »
     « Mes amis et ma famille n’ont pas forcément compris mon choix de changer de travail mais les emplois dans le tourisme sont saisonniers et je voulais assurer un revenu stable à ma famille. Je ne regrette pas, car avec le soutien de David, je fais beaucoup d’autres tâches que celle de gardien et en particulier un travail d’accueil des visiteurs et de préparation de petites plantations. Le contact avec les Rennais de passage m’apporte beaucoup; j’ai fait de bons progrès en français et, même si je n’ai pas pu encore acheter d’ordinateur, je commence à être à l’aise en informatique. »
     « J’ai deux enfants. Ma femme a une petite activité de commerce; « elle se débrouille » comme nous disons ici. De toute façon, chez nous c’est l’homme seul qui doit nourrir la famille. »
     « Je réussis à faire des économies et je prépare un projet professionnel personnel pour plus tard dans l’agriculture ; j’ai pu déjà acheter un jeune boeuf pour 75000 F CFA (115 €) et un oncle de ma femme a bien voulu me prêter un petit coin dans sa cour avec de l’herbe pour le nourrir. J’espère pouvoir acheter bientôt un deuxième animal pour pouvoir tirer une charrue. »
     « Je suis musulman comme la très grande majorité des habitants de Bandiagara, mais nous voyons en ce moment arriver chez nous des Wahabites qui veulent que les femmes portent le voile et ça ne me plaît pas ».

Moussama Diarra, préfet à Bandiagara

     « J’ai eu la chance de pouvoir au mois de juin 2010 effectuer ma seconde visite à Rennes. Le contact avec les responsables rennais est toujours pour nous très enrichissant et je suis frappé notamment par le fonctionnement de votre démocratie, par votre sens de l’organisation et votre esprit de discipline. »
     « Sans vouloir copier ce qui se passe chez vous, ces visites m’aident à réfléchir à la façon dont les choses évoluent au Mali. Nous avions des modes d’organisation et de solidarité notamment familiaux très structurants, même s’ils avaient leurs inconvénients et leurs limites. Aujourd’hui, tout ceci se disloque largement et nous cherchons comment accompagner cette évolution en gardant le meilleur de ce qui a fait notre cohésion sociale. »
     « Economiquement, le Cercle de Bandiagara (correspondant à un département français), dont j’ai la responsabilité, est à dominante rurale. Je prépare actuellement une rencontre des principaux éleveurs (certains ont un cheptel de plusieurs centaines de têtes) pour prendre des initiatives ambitieuses dans le secteur de la transformation sur place des produits agricoles : lait, viande, mais aussi les fruits. Aujourd’hui, le travail disponible est ici beaucoup trop saisonnier car lié à la saison des pluies. »
     « Je voudrais dire aussi que nos échanges avec Rennes sont d’autant plus riches quand nous prenons le temps d’aller au-delà des relations strictement officielles. J’ai eu la chance d’avoir lors de ma dernière visite une discussion à bâtons rompus avec Edmond Hervé et j’ai beaucoup apprécié d’échanger librement sur nos préoccupations de fond concernant l’avenir de nos territoires et de nos coopérations. »

     Deux livres récents peuvent permettre de faire le lien avec l’exposition du Musée de Bretagne en ouvrant des perspectives plus larges.
     En février de cette année, Moussa Konaté, éditeur au Mali et codirecteur du festival « Étonnants Voyageurs » à Bamako, a publié chez Fayard un ouvrage remarqué pour son courage intellectuel L’Afrique noire est-elle maudite? Erik Orsenna, qui préface ce livre, écrit : « On me pose souvent deux questions. Pourquoi vous rendez-vous si fréquemment en Afrique, qu’y trouvez-vous? Et, puisque vous l’aimez tant, pourquoi n’y vivez-vous pas ? À ces deux questions, ma réponse est la même: affaire de solidarité. Quand l’indifférence des humains européens les uns envers les autres m’angoisse trop, je pars chercher la chaleur en Afrique. Mais quand là-bas l’excès de solidarité m’étouffe, je reviens chercher chez moi de l’intime et de la solitude. » Réfléchir ensemble, et pas seulement en parallèle ou dans des cercles confidentiels, à la question d’un nouveau rapport de l’individu et du collectif – la même question qui se pose avec acuité sur les deux continents – pourrait être une piste de travail enrichissante.
     En 2008, Jean Claude Guillebaud a publié au Seuil Le commencement d’un monde avec comme sous-titre Vers une modernité métisse. La thèse soutenue est que la mondialisation est déjà là, que nous constituons déjà un village planétaire et que, s’agissant des cultures, le métissage est en route inexorablement : « La globalisation ne se résume pas à l’ouverture des frontières… C’est à l’intérieur de nos frontières que se jouent désormais les contradictions que nous affrontions jadis au-delà des mers. » L’avenir peut apparaître menaçant – pendant que les contacts se renforcent, les actions de groupes terroristes au nord du Mali cet été sont bien visibles – mais Jean-Claude Guillebaud voit plutôt la chance de l’enrichissement et du partage.