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Dossier
#15
À Maurepas, un musée éphémère avant démolition
RÉSUMÉ > Le Balleroy est un immeuble de 116 logements voué à disparition. Cet automne, on y a installé un « musée éphémère », lieu d’exposition né de la rencontre féconde entre locataires et artistes sous le signe du souvenir. Quand l’art donne sens au passé, sans larmes mais dans la joie d’une humanité reconquise.

     Ce grand immeuble de Maurepas dans le quartier du Gast s’écroulera au printemps pour faire place à une station de métro. Il s’agit d’un bâtiment de logements sociaux emblématique des années 60 et de la population ouvrière que Rennes accueillit en ces temps de décentralisation industrielle. Le Balleroy est un condensé de l’histoire de ce premier quartier de « grands ensembles » urbain que fut Maurepas.
     En avril 2011, un an avant la disparition annoncée, l’association l’Étincelle a pu investir cinq appartements vides. Une véritable aventure. « Les habitants les artistes font de leur immeuble un lieu de mémoire”, proclamait l’affiche invitant les voisins à entrer dans la danse!
     Plusieurs mois de travail, de création et de rencontres. Et le moment fort arrive. Du 17 septembre au 13 novembre, 5 000 visiteurs ont pu découvrir en famille ou en groupes ces “traces d’humanité” comme disait l’un d’eux. Les appartements transformés de manière ludique avec, au passage, des informations sur les chamboulements que connaîtra Maurepas dans les quinze ans à venir.

     Construire une manifestation culturelle pour parler et pour faire parler du projet urbain, certes, l’idée n’est pas neuve puisque Lorient, Saint-Quentin et Joué-lès-Tours avaient précédé Rennes. Mais pour parvenir au résultat “musée éphémère”, une mobilisation importante a dû se mettre en oeuvre. À commencer par le soutien financier d’une palette d’institutions dont la Caisse des dépôts constituait la tête de pont. Surtout, le réseau associatif de Maurepas fut sollicité. On sensibilisa les habitants lors des événements de quartier tels que la Fête du voisinage. Le musée éphémère voulait vraiment s’inscrire dans la vie culturelle du quartier et apporter sa contribution à la dynamique du quartier.

     Le premier temps printanier fut consacré à la mise en place de groupes d’expression collective avec une artiste. C’est là qu’émergèrent les idées, les thèmes qui plus tard serviront de supports aux ateliers de création. Quinze thèmes reflets de la vie communautaire du Balleroy, les joies, les peines de plusieurs générations: l’information envahissante, laisser son empreinte, le jardin d’intérieur, la case à voyages, les vêtements du Balleroy, 60, années rock n’roll, Maurepas quartier avant-gardiste… et bien d’autres encore.
     Ensuite, les trois mois d’ateliers furent un bouillonnement intense d’émulation collective entre artistes et habitants. L’Étincelle avait souhaité que les habitants jouent un rôle majeur dans la définition des thèmes. C’est ainsi que les quinze artistes professionnels engagés à leurs côtés ont su traduire ces expressions. Leur rôle a été déterminant pour mettre de la couleur artistique dans les projets tout en y ajoutant la touche personnelle de leur démarche artistique. Les ateliers furent aussi, pour les habitants des lieux d’apprentissage de techniques, de confortation de potentialités de création .

     Après de longues discussions le choix artistique a été de privilégier l’expression visuelle, d’où l’importance dans les réalisations des productions graphiques et plastiques en particulier. Les mots étaient forts, ils se retrouvent parfois sur les murs, mais nous ne voulions pas nous la jouer trop nostalgiques !
     Le livre d’or où de nombreux habitants ou anciens locataires ont laissé une trace de leur visite parle « d’une oeuvre d’art visuelle et sonore de grande qualité, d’un voyage d’une grande humanité”. On note surtout cette remarque: “la mémoire est une gardienne fantasque qui pourra nourrir l’imaginaire de chacun.”
     Les visiteurs s’arrêtent devant cette sculpture représentant un habitant en “prise de tête” devant un mur de lamentations médiatiques ou face aux mots éparses. Ou devant les silhouettes qui semblent vivantes dans la salle « laisser son empreinte”, la tiédeur paisible de la chambre d’enfant ou le futur quartier de 2025 en trois dimensions … Plus que des discours, ce sont ces émotions ressenties, de la vie qui passe, des moments frileux ou délicieux qui sont évoqués à travers ces fresques des migrations “de la campagne à la ville” ou de l’accueil des travailleurs venus d’ailleurs.

     Le «musée» devint vraiment une belle récompense pour les habitants qui ont porté le projet, mais aussi pour les artistes : peintre, calligraphe, scénariste, couturière, sculpteur, cartoniste, créateur d’innovation technologique, chorégraphe… qui ont contribué à faire vivre ces pans de vie et les interrogations multiples .
     «Musée éphémère», la banderole de quinze mètres barrant le fronton du Balleroy était parfois regardée avec circonspection par les riverain . Sans doute le mot «muse» faisait-il un peu hésiter à pousser la porte… Et pourtant, elles y sont souvent revenues les familles, avec leurs amis ou leurs voisins. En découvrant qu’avec de l’art on peut aussi parler d’eux, de leur environnement avec humour et fantaisie. Peut-être ces visites auront-elles déclenché chez eux l’envie de nouvelles découvertes ?
     Le concept de musée éphémère et l’utilisation de ces pratiques artistiques pour aborder des choses aussi sérieuses que le projet urbain, le fait que l’Étincelle le présente comme un outil pédagogique a sans doute surpris. Au bout du compte, le plus grand bonheur aura été de recevoir ces nombreux habitants. Et si nous avons contribute à semer des interrogations, ce n’est que cerise sur le gâteau !